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Sentinel-2C : un nouveau regard sur la Terre et une révérence pour Vega

Dans la nuit du mardi 3 au mercredi 4 septembre doit décoller de Guyane le satellite Sentinel-2C, qui prendra la relève de ses aînés pour observer l’évolution des sols sur Terre dans le cadre du programme européen Copernicus. Ce lancement marquera aussi le dernier vol de la fusée légère Vega, avant que la nouvelle version Vega-C ne prenne la relève dans un contexte difficile de crise des lanceurs européens.
Vue d'artiste d'un satellite Sentinel 2 en train d'observer la Terre. (Photo ESA. ATG medialab)
publié le 1er septembre 2024 à 11h25

On change d’époque au centre spatial guyanais de Kourou, où deux lancements historiques se sont enchaînés cet été : le décollage de la toute première Ariane 6 début juillet, et celui de la toute dernière Vega en ce début septembre. La fusée doit mettre en orbite dans la nuit de mardi à mercredi le satellite d’observation de la Terre Sentinel-2C, avant de passer définitivement le relais à son successeur dans la famille des lanceurs légers européens : Vega-C.

Image ternie

Trente mètres de haut, trois mètres de diamètre, et douze ans de service : Vega a eu une belle carrière en Guyane avec un à trois lancements par an depuis 2012. C’est une fusée modeste, construite par l’Italien Avio, et destinée spécifiquement à lancer de petits satellites en orbite terrestre basse. Mais son image a été ternie par quelques échecs récents : le satellite émirati Falcon Eye 1 a été perdu en juillet 2019, puis deux satellites dont la mission scientifique française Taranis, qui devait observer les orages depuis l’espace, ont raté leur mise en orbite fin 2020.

Vega a ainsi contribué à ce qu’on appelle aujourd’hui la «crise des lanceurs», qui met l’Europe dans la situation difficile où presque aucune fusée n’est capable de décoller depuis Kourou. La grande Ariane 6 a pris des années de retard alors qu’Ariane 5 est déjà à la retraite depuis 2023 ; le lanceur intermédiaire Soyouz, fabriqué par les Russes et commercialisé par les Européens, a quitté Kourou depuis le début de la guerre en Ukraine, et les petites Vega ont passé des mois clouées au sol, le temps de dérouler des enquêtes sur les causes des échecs et apporter des corrections.

«Confiance»

Nul doute que toute l’attention du monde aura été portée aux préparatifs de ce dernier lancement, programmé ce mardi à 22h50 heure locale (soit mercredi à 3h50 heure de Paris), pour clore l’histoire de Vega sur un succès. Mais il faudra ensuite redoubler d’efforts pour que la nouvelle version Vega-C fasse sortir l’Europe de cette série noire. Un peu plus haute et pas mal plus puissante (430 tonnes de poussée au décollage contre 230 tonnes auparavant), Vega-C ouvre de nouvelles perspectives de mise en orbite sur le papier. Une fois dans le ciel, c’est une autre histoire… Fin 2022, pour son deuxième vol seulement, Vega-C a pris un très mauvais départ avec un problème de moteur qui l’a empêchée de lancer correctement les satellites français Pléiades Neo numéro 5 et numéro 6. Elle n’a plus volé depuis.

Après moult analyses et correctifs, «on a fait un test concluant du moteur Zefiro au mois de mai et on va en refaire un début octobre. On est très confiants sur sa réussite», assure en conférence de presse Toni Tolker-Nielsen, directeur du transport spatial à l’Agence spatiale européenne. Il vise un retour en vol de Vega-C «à partir de fin novembre, pour un satellite Sentinel d’un modèle assez nouveau, qui ne pouvait pas être lancé avec Vega» première du nom.

Divorce

Ce qui est sûr, c’est que l’organisation va changer. Jusqu’ici, c’est la société Arianespace (filiale d’Arianegroup) qui commercialisait les vols des lanceurs européens Ariane et Vega – c’est-à-dire qui se chargeait de trouver des clients à la recherche d’une fusée fiable pour mettre en orbite leurs satellites, de négocier le tarif du décollage, d’accueillir les clients à Kourou pour installer le satellite dans la coiffe de la fusée et préparer le jour J… Mais après un divorce à l’amiable signé au sommet spatial de Séville, en novembre, Arianespace va désormais laisser au constructeur italien Avio le soin de vendre ses propres fusées à la fiabilité aléatoire. Arianespace ne garde que la grande Ariane dans son portefeuille.

La transition va se faire progressivement. «Nous avons encore la responsabilité de six lancements, résume Stéphane Israël, directeur général d’Arianespace : deux avant la fin de cette année et quatre l’an prochain, avant de passer définitivement la main à notre partenaire Avio.»

Observer la Terre

Pour le premier de ces six lancements de transition, le satellite Sentinel-2C porte une grosse responsabilité. Il doit seconder puis suppléer les satellites Sentinel-2A et 2B dans le cadre du programme européen d’observation de la Terre, nommé Copernicus. Experts en surveillance des terres, de l’eau et de l’atmosphère terrestre, les «Sentinel 2» sont conçus pour fonctionner en duo. Le premier (le «A») a été lancé en 2015 et le deuxième (le «B») a suivi en 2017. Chaque engin spatial a une durée de vie théorique de dix ans – ce qui signifie, même si l’Agence spatiale européenne espère bien qu’ils tiendront beaucoup plus longtemps que ça avant de rendre l’âme, qu’il faut commencer à prévoir leur succession. Neuf ans se sont déjà écoulés depuis la mise en service de Sentinel-2A

«On veut à tout prix éviter que l’un des deux tombe en panne», explique Mauro Facchini, responsable du programme Copernicus à la Commission européenne. Outre l’intérêt crucial, d’un point de vue purement scientifique, du programme Copernicus dans la surveillance du climat par exemple, de nombreuses entreprises basent leur activité commerciale sur les données acquises par les satellites Sentinel. «Beaucoup d’industriels ont besoin que la disponibilité des données soit garantie sur le long terme, continue Mauro Facchini. Lancer Sentinel 2-C est une façon d’anticiper les problèmes qui pourraient se présenter» en assurant une redondance. Un quatrième engin, Sentinel-2D, est même déjà sur les rails, «prêt à être lancé dans quelques années».

Satellite de secours

Hors de question pour l’instant de ramener sur Terre Sentinel-2A, le plus vieux satellite de la série, tant qu’il est encore fonctionnel en orbite. Toute une stratégie est donc établie pour transformer le duo de satellites actuels en trio, et les faire travailler le plus efficacement possible. «2B va être rapproché de 2C pour qu’ils opèrent ensemble dans un premier temps : ils vont prendre les mêmes images de la Terre. Ça permet d’organiser une transition transparente d’un satellite à l’autre», détaille Constantin Mavrocordatos, chef de projet des Sentinel 2. Puis 2C va officiellement entrer en service, et 2-A deviendra le satellite de secours. Le vieux «2A sera placé sur la même orbite que les deux autres pour passer dans leur trace mais un peu en décalé. Il ne sera pas actif et pourra assurer la continuité du service en cas de problème.»

Les images couleur et haute résolution de Sentinel 2 permettent de photographier «l’ensemble des terres et des eaux côtières de la Terre tous les cinq jours», rappelle l’ESA sur son site, car les deux satellites sont toujours positionnés d’un côté et de l’autre de la Terre, diamétralement opposés. Ils observent en particulier l’occupation des sols, l’évolution de l’agriculture et des écosystèmes, et aident à la surveillance des catastrophes naturelles comme les incendies de forêt, les inondations, les éruptions de volcans… Ils observent aussi les glaciers, l’étendue neigeuse et la pollution de l’eau.