2021 sera l’année où le tourisme spatial a décollé. Mi-juillet, le fondateur du groupe Virgin, Richard Branson, s’est offert à bord de son vaisseau Virgin Galactic un petit tour de deux heures à la frontière de l’espace (au-dessus de 100 kilomètres d’altitude). Neuf jours plus tard, Jeff Bezos lui emboîtait le pas pour fêter sa retraite de PDG d’Amazon, en embarquant à bord de sa fusée New Shepard pour s’arracher de l’atmosphère quelques instants en compagnie de son frère, d’une astronaute retraitée et d’un fils de trader gâté. Mais ces deux démonstrations aux airs de caprice de milliardaire n’étaient que des sauts de puces au regard de la mission Inspiration4, que prépare l’entreprise d’astronautique d’Elon Musk, SpaceX, depuis des mois.
Ce jeudi à 2 heures du matin (heure de Paris, on sera encore mercredi soir au centre spatial Kennedy en Floride) décollera le tout premier vol orbital dont l’équipage est uniquement composé de citoyens «privés», c’est-à-dire non formés en tant qu’astronautes par une agence spatiale comme la Nasa ou l’ESA. Installés à bord d’un vaisseau Crew Dragon de SpaceX, le même modèle qui emmène régulièrement des astronautes vers la station spatiale internationale, les quatre touristes américains seront envoyés à 575 kilomètres d’altitude et passeront trois jours en orbite, à boucler des tours de Terre encore et encore, à enchaîner les levers et les couchers de Soleil jusqu’à plus soif. Puis ils amerriront dans l’océan Atlantique, freinés par de grands parachutes. Exactement comme des astronautes revenant de l’ISS.
Le commandant du vaisseau sera Jared Isaacman, un homme d’affaires qui a fait fortune avec un système de paiement nommé Shift4. C’est lui qui a payé le billet des trois autres passagers, pour une somme confidentielle mais ne dépassant pas 200 millions de dollars au total. Un montant proche de ce que paie la Nasa à SpaceX pour faire la navette avec l’ISS, donc, puisque chaque voyage en Crew Dragon coûte environ 55 millions de dollars par astronaute. Si Jared Isaacman a obtenu son brevet de pilote en 2011 et a déjà volé avec de nombreux aéronefs militaires, ses invités ne sont pas tous des habitués du cockpit.
Un objectif avant tout symbolique
Sian Proctor est une professeure de géologie en Arizona, médiatrice scientifique et… presque astronaute : finaliste d’une session de recrutement de la Nasa en 2009, elle n’a pas été retenue mais a passé des mois dans des locaux de l’agence à Hawaii, à simuler la vie d’astronautes sur un terrain ressemblant à Mars. Elle a décroché avec SpaceX la seconde chance de sa carrière, choisie par Isaacman via un concours réservé aux utilisateurs de son service Shift4. Hayley Arceneaux est la star du voyage : guérie d’un cancer des os et aujourd’hui porteuse d’une prothèse, elle est assistante médicale dans l’hôpital pour enfants qui l’a soignée (Saint-Jude à Memphis) et sera, à 29 ans, la plus jeune Américaine à voler dans l’espace. Quant à Christopher Sembroski, c’est un ancien combattant de l’US Air Force, qui a fait beaucoup de médiation auprès des jeunes intéressés par les missions spatiales et a milité dans sa jeunesse pour l’ouverture des vols spatiaux au privé. Lui a été sélectionné par un tirage au sort parmi les donateurs de l’hôpital Saint-Jude.
A look at Dragon’s Cupola, which will provide our Inspiration4 astronauts with incredible views of Earth from orbit!
— Inspiration4 (@inspiration4x) September 1, 2021
The crew visited the flight-hardware Cupola in California before it was shipped to Florida for integration with Dragon Resilience. pic.twitter.com/9ivMZrS1ip
Alors, à quoi ressemblera la toute première vraie croisière spatiale de l’histoire ? Quelques modifications ont été apportées au vaisseau, déjà, pour mieux profiter du voyage : sous le nez arrondi du Crew Dragon, le système d’amarrage à la station spatiale a été remplacé par une baie vitrée inspirée de la coupole de l’ISS (et des caméras pour filmer à la fois l’intérieur et l’extérieur du vaisseau). Après avoir été propulsé en orbite en atteignant une vitesse dix fois supérieure à celles des missions de Richard Branson et Jeff Bezos, le vaisseau sera piloté depuis le sol, ou placé en pilotage automatique. On ne demande pas aux touristes de s’inquiéter des altimètres et des manches à balai… Mais les quatre membres de l’équipage ne débarquent pas pour autant les mains dans les poches : ils ont tous suivi cinq mois d’entraînement pour astronautes, afin de garantir leur forme physique ou d’apprendre à gérer une urgence médicale, par exemple. L’équipage devrait réaliser quelques expériences scientifiques en micropesanteur, pour profiter de l’occasion et jouer aux vrais astronautes, mais l’objectif est symbolique avant tout. Avec les quatre Américains décolleront 30 kilos de houblon pour brasser une bière de l’espace, une veste, un ukulélé, des avions en peluche et diverses œuvres d’art qui sont d’ores et déjà vendues aux enchères au profit de l’hôpital Saint-Jude.
SpaceX devrait poursuivre sa nouvelle activité d’opérateur touristique spatial dès la fin de l’année, avec une mission de cinq jours, prévue pour envoyer quatre nouveaux touristes en apesanteur et battre un record d’altitude en volant deux fois plus haut que la station spatiale internationale. Et en 2022, toujours à bord du vaisseau Crew Dragon, SpaceX compte emmener trois hommes d’affaires vers l’ISS avec la mission Axiom Space-1. L’entreprise d’Elon Musk s’imagine déjà proposer une rotation sur l’ISS jusqu’à deux fois par an si les disponibilités de la Nasa le permettent, voire construire sa propre station spatiale à vocation touristique…