Comment voir la face cachée de la Lune ? En envoyant un satellite en faire le tour, pardi ! Et comment voir la face cachée d’un trou noir ? C’est beaucoup plus difficile… A moins que le trou noir en question décide de nous donner un coup de main et de renvoyer lui-même des rayons en direction de la Terre, comme s’il tenait un miroir derrière lui. C’est peu ou prou ce qui s’est passé à 800 millions d’années-lumière d’ici, dans la galaxie I Zwicky 1.
Comme c’est le cas dans toutes les grosses galaxies, I Zwicky 1 abrite en son cœur un trou noir supermassif, d’une masse de 10 millions de fois celle du Soleil. Et comme tous les trous noirs, il lui arrive d’émettre des rayons X lorsqu’il absorbe la matière qui lui tourne autour, irrésistiblement attirée par sa force gravitationnelle. Rien que du très classique pour nos connaissances actuelles. «Dan Wilkins observait une série de flashs de rayons X», ce qui est «intéressant mais non sans précédent», rapporte l’université californienne de Stanford qui emploie ce chercheur en astrophysique, quand soudain «les télescopes ont enregistré quelque chose d’inattendu : des flashs supplémentaires de rayons X, plus petits, plus tardifs et de “couleur” différente par rapport aux grands flashs.» Comme un écho un peu altéré qui viendrait de plus loin. De l’arrière du trou noir.
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Déformation de l’espace-temps
Le principe d’un trou noir est que sa force gravitationnelle est tellement forte que rien ne peut en ressortir, même pas les rayonnements électromagnétiques (lumière visible, rayons X, gamma, etc.) qui se déplacent dans le vide à la vitesse de la lumière. On pourrait donc penser qu’il est impossible de voir quoi que ce soit provenant de derrière «l’horizon des évènements», la frontière du trou noir d’où rien ne s’échappe. Comment les télescopes ont-ils donc pu capter ces flashs de rayons X ?
Ils sont revenus vers la Terre «parce que le trou noir déforme l’espace-temps, courbant la lumière et tordant les champs magnétiques autour de lui-même», explique Dan Wilkins. Au lieu de partir en ligne droite vers «l’extérieur» du trou noir, une partie des rayonnements s’est donc retrouvée piégée dans l’espace-temps déformé et contrainte de faire le tour du trou noir pour repartir en sens inverse. C’est une possibilité qui avait été prédite par la théorie de la relativité générale d’Einstein, mais jamais confirmée avant aujourd’hui. Cette observation historique, réalisée avec le télescope spatial européen XMM-Newton et l’américain Nustar, est rapportée par l’équipe de Wilkins dans la revue Nature.
Inédite mais pas révolutionnaire
L’Agence spatiale européenne raconte les circonstances de cette observation surprise : «l’objectif était d’en apprendre davantage sur la mystérieuse couronne du trou noir, qui est la source des rayons X. Les astronomes pensent que la couronne provient du gaz qui tombe en permanence dans le trou noir, où il forme un disque en rotation, comme de l’eau s’évacuant d’une baignoire. Le disque de gaz est chauffé à des millions de degrés et génère des champs magnétiques qui se tordent à cause du trou noir en rotation. Le champ magnétique finit par rompre et relâche l’énergie accumulée. Cela chauffe l’environnement et produit une couronne d’électrons à haute énergie qui produisent les rayonnements X.»
For the first time, astronomers have seen light coming from behind a #blackhole!
— ESA Science (@esascience) July 28, 2021
Discovery made with ESA's XMM-Newton @esa_XMM and NASA’s NuSTAR X-ray space telescopes, published in @Nature
More info 👉https://t.co/TqPoSCJkq3
Paper: https://t.co/vxv8wPQVqO pic.twitter.com/dkgC8GGJtU
L’observation de l’équipe de Dan Wilkins a beau être inédite, elle ne va pas pour autant révolutionner le monde de l’astrophysique, souligne Norma Sanchez, physicienne théoricienne et astrophysicienne, directrice de recherche émérite au CNRS et directrice de l’école internationale d’astrophysique Daniel Chalonge-Héctor de Vega. «Mais elle va permettre de compléter les modèles déjà existants des systèmes compacts des trous noirs et de mieux comprendre leur environnement. Nous savons désormais avec certitude que nous allons dans la bonne direction, explique-t-elle à Libération. Maintenant, il va falloir que les travaux d’interprétation, de synthèse et de corrélation soient à la hauteur des données que les nouvelles technologies plus performantes vont nous fournir.»
Les chercheurs attendent désormais avec impatience le lancement d’Athena, l’observatoire à rayons X de l’Agence spatiale européenne (ESA), prévu pour 2031. L’engin, à l’ingénierie complexe, permettra d’obtenir une image plus précise du phénomène.
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