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«L’odyssée de Manouchian est aussi la nôtre» : retrouvez l’essentiel de la cérémonie d’entrée au Panthéon du résistant

Poète communiste et arménien, Missak Manouchian est une icône de la Résistance en France, exécutée il y a exactement 80 ans. A lui et à son épouse Mélinée, également résistante, la nation a rendu hommage ce mercredi 21 février.
Un portrait de Missak Manouchian projeté sur le Panthéon lors de l'intronisation de Missak Manouchian et de son épouse Mélinée dans le mausolée, mercredi 21 février 2024. (Ludovic Marin/AFP)
publié le 21 février 2024 à 16h11
(mis à jour le 21 février 2024 à 20h22)

En résumé

  • Pour la première fois ce mercredi, des résistants étrangers sont entrés au Panthéon : Missak Manouchian, chef d’un groupe de combattants étrangers exécuté le 21 février 1944 au mont Valérien, et son épouse Mélinée, elle aussi résistante. C’est aussi une première pour des résistants communistes.
  • A l’entrée du caveau où reposent désormais les deux époux, une plaque rend hommage aux 24 membres du groupe Manouchian exécutés en 1944 : les 22 fusillés du 21 février, Olga Bancic, seule femme du groupe, décapitée en Allemagne au mois de mai, et un de leurs chefs, Joseph Epstein, tué en avril.
  • La cérémonie a commencé à 18 h 30. Emmanuel Macron a prononcé l’oraison du résistant dans la nef de l’ancienne église Sainte-Geneviève. Malgré la polémique, Marine Le Pen est présente.
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«La France de 2024 se devait d’honorer» Missak Manouchian et les siens, dit Macron. «Entrent aujourd’hui au Panthéon 24 visages parmi ceux des FTP-MOI. 24 visages parmi des centaines de combattants et otages fusillés comme eux dans la clairière du mont Valérien et qui tous, désormais, sont reconnus comme morts pour la France», prononce Emmanuel Macron. Le chef d’Etat affirme que «la France de 2024 se devait d’honorer ceux qui furent 24 fois la France». Il ajoute : «Les honorer dans nos cœurs et dans notre recueillement. Dans l’esprit des jeunes Français venus ici pour songer à cette autre jeunesse passée avant elle, étrangère, juive, communiste, résistante, jeunesse de France, gardienne d’une part de la noblesse du monde. Missak Manouchian, vous entrez ici en soldat avec vos camarades».

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Macron raconte Manouchian le résistant. «Dans Paris occupé, Missak Manouchian rejoint la Résistance communiste au sein de la main-d’œuvre immigrée, la MOI. Il se voulait poète, il devient soldat de l’ombre», déclare Emmanuel Macron. Puis le chef d’Etat aborde ce jour de 1943 où «Manouche» et ses camarades sont arrêtés. «Parce que ces combattants sont parvenus à exécuter un haut dignitaire du Reich, les voilà plus traqués que jamais. Dans leurs pas marchent les inspecteurs de la préfecture de police. […] À l’automne 1943. Devenus dirigeants militaires des FTP-MOI parisiens, Missak Manouchian les presse. La fin approche. Pour alerter ses camarades, ils se rendent au rendez-vous fixé avec son supérieur, Joseph Epstein. Un matin de novembre, Missak Manouchian avait vu juste. Lui et ses camarades sont pris, torturés, jugés dans un procès de propagande organisé par les nazis en février 1944. Est ce ainsi que les hommes vivent ? S’ils sont résolument libres ? Oui.», poursuit le président de la République.

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«Etrangers et nos frères pourtant.» Un à un, Emmanuel Macron égrène les noms des membres du groupe Manouchian honorés ce mercredi au Panthéon et raconte leur sort tragique. Celui de jeunes gens qui ont fui leur pays et s’engagent en France contre l’Occupant nazi, au nom de la liberté et de l’antifascisme. Celui de juifs persécutés dont les proches furent déportés dans les camps d’extermination. Celui de résistants capturés par «la police qui collabore, la police de Bousquet, de Laval et Pétain», torturés et exécutés. «Etrangers et nos frères pourtant», dit-il, citant la poète Louis Aragon. Et d’interroger : «Est-ce ainsi que les hommes meurent ?».

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Le discours d’Emmanuel Macron commence. Au Panthéon, Emmanuel Macron débute son discours devant les cercueils placés au centre de la nef. «Est ce donc ainsi que les hommes vivent des dernières heures dans la clairière du mont Valérien, à cette montagne Sainte-Geneviève ? Une odyssée du XXᵉ siècle s’achève, celle d’un destin de liberté […] Survivant au génocide de 1915, de famille arménienne, trouvant refuge au Liban avant de rejoindre la France, il décide de mourir pour notre nation qui pourtant avait refusé de l’adopter pleinement. Reconnaissance en ce jour d’un destin européen du Caucase au Panthéon et avec lui, de cette Internationale de la liberté, de l’amour et du courage». «Oui, cette odyssée, celle de Manouche et de tous ses compagnons d’armes, est aussi la nôtre», ajoute-t-il.

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«Morts pour la France !» Après la lecture par Patrick Bruel de la dernière lettre de Missak Manouchian, l’acteur Serge Avédikian, qu’on a vu notamment dans L’armée du crime de Robert Guédiguian, égrène, un à un, les noms des camarades, pour qu’ils ne restent pas dans l’ombre de leur chef comme certains historiens ont pu le craindre. «Morts pour la France !» Le cercueil entame alors la lente remontée de la rue Soufflot, étape obligée de cette liturgie laïque qui a plus de deux siècles. Accompagné par 24 élèves du lycée militaire d’Autun, il est porté par des soldats de la Légion étrangère. Pas de hasard : ce sont «d’autres Français de préférence, c’est-à-dire des étrangers qui ont choisi de combattre pour la France», explique l’Elysée. Trois stations ponctuent cette solennelle procession républicaine, correspondant aux trois grands chapitres de la vie de Manouchian. Ils sont intitulés «survivre» (le génocide arménien), «choisir» (la culture française et le Parti communiste) et «résister». Des extraits des carnets de l’intellectuel communiste, qui écrivaient dans des revues quand il ne trimait pas à l’usine, sont lus.

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Une «convergence mémorielle inédite». «Entre ici Jean Moulin, avec ton terrible cortège !» Soixante après celle du chef de la Résistance intérieure, arrêté et torturé à mort par la Gestapo, l’entrée de Missak Manouchian et de ses camarades vient parachever l’hommage rendu à la Résistance. Personne n’a oublié le discours sublime d’André Malraux de décembre 1964, auquel tout chef de l’Etat doit désormais se mesurer. Après Jean Moulin, il fallut attendre 2015, sous le quinquennat de François Hollande, présent à la cérémonie aux côtés d’Emmanuel Macron, pour voir entrer Pierre Brossolette, Jean Zay, Germaine Tillion et Geneviève de Gaulle-Anthonioz. Mais aucun d’eux n’était communiste, ni étranger. La panthéonisation du résistant communiste répare ce double oubli et, pour reprendre l’expression de l’historien Denis Peschanski, affirme même une «convergence mémorielle inédite» dans une France qui a longtemps été traversée par des conflits entre la mémoire gaulliste, la mémoire communiste et la mémoire juive. Par Eve Szeftel

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«Bonheur à ceux qui vont nous survivre.» Au Panthéon, le chanteur Patrick Bruel lit la dernière lettre adressée à Mélinée par Missak Manouchian avant son exécution : «Dans quelques heures, je ne serai plus de ce monde. On va être fusillés cet après-midi à 15 heures. Cela m’arrive comme un accident dans ma vie, je n’y crois pas, mais pourtant je sais que je ne te verrai plus jamais. […] Je m’étais engagé dans l’armée de la Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la liberté et de la paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit

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Emmanuel Macron est arrivé sur place. Sous la pluie parisienne, le président de la République est arrivé au Panthéon, accueilli par une Marseillaise qu’il a écoutée face aux cercueils de Missak et Mélinée Manouchian, qui vont être transportés dans le temple républicain.

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Malgré les critiques, Marine Le Pen est bien là.

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Missak Manouchian : comment prononce-t-on ? «L’affiche qui semblait une tache de sang /Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles /Y cherchait un effet de peur sur les passants», écrivait Louis Aragon dans son célèbre poème Strophes pour se souvenir, chanté plus tard par Léo Ferré, à propos de la propagande nazie à l’encontre des résistants du groupe Manouchian. «A prononcer vos noms sont difficiles» : de fait, les commentateurs s’emmêlent fréquemment les pinceaux sur la prononciation du nom du communiste arménien. «Che» comme «cheval» ou «ke» comme «koala» ? «On dit Manouchian avec un «che» comme cheval, c’est sans équivoque, tranche Anaid Donabédian, linguiste et spécialiste de la langue arménienne. En France, il y a parfois une confusion parce qu’il y a des Manoukian connus, comme [le présentateur de radio] André Manoukian. Mais ce sont deux noms différents.» Pas si «difficile» que ça, donc !

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Pour le député écologiste Julien Bayou, un «immense honneur».

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Marcel Rajman, l’assassin de Julius Ritter. Dans le XIe arrondissement de Paris, à quelques pas du cimetière de Père-Lachaise et non loin de la rue des Immeubles industriels où il a grandi, un square porte son nom. Marcel Rajman, juif communiste né à Varsovie en 1923 et arrivé en France à l’âge de 8 ans, est une figure célèbre du groupe Manouchian. C’est à lui que l’on doit l’action de résistance la plus spectaculaire de l’organisation - l’assassinat devant son domicile parisien du colonel SS Julius Ritter, responsable du travail obligatoire en France, le 28 septembre 1943. Il a participé aussi à plusieurs autres attentats contre l’Occupant nazi, comme une attaque contre l’hôtel Saint-Honoré en février 1943. Comme ses compagnons d’armes, l’amateur de natation sera fusillé au mont Valérien le 21 février 1944, après avoir été torturé. Son frère Simon, de quatre ans plus jeune que lui, était lui aussi résistant. Arrêté, il sera déporté à Auschwitz-Birkenau, d’où il reviendra vivant.

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Olga Bancic, seule femme du groupe Manouchian. «Je meurs avec la conscience tranquille, et avec toute la conviction que demain tu auras une vie et un avenir plus heureux que ta mère.» Cette lettre déchirante, jetée par la fenêtre lors de son transfert vers la prison de Stuttgart, a été écrite par Olga Bancic, la veille de son exécution le 10 mai 1944, à sa fille Dolores Jacob. Seule femme du groupe Manouchian, Olga Bancic est née en 1912 en Roumanie, dans une famille juive. Communiste dès l’âge de 16 ans, elle émigre en France en 1938 et s’engage dès le début de l’Occupation dans la Résistance. Véritable artificier du groupe, elle est chargée de l’assemblage des bombes et de leur transport sur les lieux des opérations. Arrêtée le 16 novembre 1943, comme les autres, elle est guillotinée deux mois après le reste du groupe, le jour de son 32e anniversaire, l’Occupant ayant pour règle de ne pas exécuter de femmes en France. Par Eve Szeftel

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Thomas dit «Tommy», «bébé» du groupe Manouchian. Ce juif hongrois, né en 1924 à Budapest, n’a pas vingt ans quand il est fusillé dans la clairière du Mont-Valérien. Ses parents, des intellectuels communistes, s’exilent en France quand il a 6 ans. Sa mère tient un restaurant rue de la Montagne-Sainte-Geneviève, près du Panthéon, qui devient pendant la guerre un lieu de réunion clandestin pour le réseau de résistance du Musée de l’Homme. Très politisé, Thomas claque la porte du lycée Louis-le-Grand après avoir cassé la figure à un élève qui avait moqué sa condition de juif et d’étranger. Le lycéen de 16 ans décide alors de s’engager dans l’action clandestine. D’abord en confectionnant et distribuant des tracts, la nuit, avec son petit frère Bela âgé de 12 ans, puis en rejoignant les FTP-MOI. Rapidement, sa bravoure et son sens de l’initiative lui valent de monter en grade. Joseph Boczov, comme lui un juif d’origine hongroise, en fait son bras droit à la tête du 4e détachement des FTP-MOI ou détachement des «dérailleurs». En juillet 1943, Thomas Elek écrit dans son rapport, après un déraillement réussi : «On m’appelle Bébé Cadum. Aujourd’hui, Bébé Cadum a envoyé 600 nazis au diable.» L’équipe des dérailleurs tombe à la fin de novembre 1943. «Juif hongrois, huit déraillements», est-il écrit sous la photo du jeune homme roux à la tignasse frisée, dans l’un des dix médaillons de l’Affiche rouge. Sa dernière lettre adressée à ses amis se termine par cette phrase : «Adieu, gardez ma mémoire dans vos cœurs et parlez quelquefois de moi à vos enfants.» Par Eve Szeftel

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Joseph Epstein, le chef torturé. Joseph Epstein, alias «colonel Gilles», était le supérieur hiérarchique de Missak Manouchian. Né en Pologne en 1911 dans une famille juive aisée, l’étudiant en droit s’exile en France en 1931. Dès 1936, il combat aux côtés des Républicains espagnols. A la déclaration de guerre, il s’engage dans la Légion étrangère, est fait prisonnier par les Allemands, s’évade. En 1943, le Parti communiste lui confie la tête de l’ensemble des Francs-Tireurs et Partisans de la région parisienne. Il organise avec succès actions de sabotage et attentats contre les troupes d’Occupation. Arrêté le 16 novembre 1943 alors qu’il attendait Missak Manouchian, il est torturé pendant des semaines, mais ne parle pas : sinon, toute la direction nationale FTP serait tombée. Avant d’être exécuté, le 11 avril, sous le nom de Joseph Andrei, il écrit une dernière lettre à sa femme et son fils qui se termine par ce cri : «Vive la Liberté, Vive la France». Par Eve Szeftel