Et à la fin, c’est l’intelligence artificielle qui gagne. Après avoir récompensé les bases théoriques derrière les réseaux de neurones, base fondamentale des IA modernes, avec le prix Nobel de physique mardi 8 octobre, ce mercredi, l’Académie du Suède récompense l’une des applications de ces réseaux de neurones : Alphafold, une IA conçue par Google DeepMind. John Jumper et Demis Hassabis, respectivement directeur et cofondateur de Google DeepMind, ont mis au point une IA capable de prédire la structure tridimensionnelle des protéines. Ils partagent leur prix Nobel de chimie 2024 avec David Baker, un scientifique américain travaillant depuis plus de trente ans sur cette question de la forme des protéines. Il a développé une méthode pour créer une protéine artificielle.
«Je ne suis pas surprise qu’ils soient récompensés mais je suis surprise que cela arrive aussi tôt, Alpha Fold date de seulement quatre ans», commente pour Libération Sophie Sacquin-Mora, directrice de recherche CNRS au Laboratoire de biochimie théorique. De fait, John Jumper, 39 ans, Demis Hassabis, 48 ans et David Baker, 62 ans, font drastiquement chuter la moyenne d’âge des lauréats 2024 qui s’établissait jusqu’à présent au-delà de 70 ans. Le prix Nobel prend d’ordinaire des dizaines d’années de recul pour être sûr de bien récompenser une avancée cruciale dans un secteur.
Sophie Sacquin-Mora se souvient de «l’effervescence» quand Alpha Fold a été publié en 2020. «Beaucoup d’équipes se sont approprié le logiciel, il y a eu très vite des centaines d’articles l’utilisant», témoigne-t-elle. Et pour cause, comprendre la conformation en trois dimensions d’une protéine est primordial en biologie mais c’était jusque-là une tâche fastidieuse. On connaît facilement la composition des protéines. Ces molécules agissantes dans le corps sont créées par les gènes. Quand on connaît la séquence d’un gène, on connaît la suite d’acides aminés qui composent la protéine associée. Mais la forme que prend cette dernière reste un mystère. Les scientifiques possèdent plusieurs techniques d’imagerie, mais cela prend des mois voire des années pour avoir une réponse. Résultat, «on connaît la structure de 200 000 protéines sur les millions qui existent dans nature», estime Sophie Sacquin-Mora. Il reste donc du boulot et AlphaFold va l’accélérer puisqu’elle permet d’avoir une proposition de structure beaucoup plus rapidement, même si elle n’est pas parfaite.
«L’œuvre d’une vie»
«L’IA a pu se saisir du sujet parce que la communauté de biologie structurale a décidé très tôt de mettre en commun ses données», pointe Konrad Hinsen, chercheur au Centre de biophysique moléculaire. De fait, la plus puissante des IA n’est rien sans une base de données de qualité pour s’entraîner. C’est là qu’intervient la récompense attribuée à David Baker, impliqué dans la biologie structurale depuis trente ans. «Ce prix vient récompenser l’œuvre d’une vie qui culmine avec l’ingénierie des protéines», estime Konrad Hinsen. David Baker a développé un programme informatique pour créer la protéine ad hoc selon la fonction que l’on veut qu’elle remplisse. Par exemple, précise le comité Nobel, cette technique peut être utilisée pour produire de nouveaux médicaments, vaccins, ou des capteurs minuscules. A gros trait, le programme compare la fonction recherchée aux fonctions des protéines connues et propose la séquence d’acides aminés qui devrait donner naissance à la protéine capable de remplir la fonction demandée.
En 2023, l’Académie du Suède avait distingué trois chercheurs basés aux Etats-Unis, Moungi Bawendi, du Massachusetts Institute of Technology (MIT), Louis Brus de l’Université de Columbia, et Alexei Ekimov qui travaille pour Nanocrystals Technology, pour «la découverte et la synthèse de points quantiques», des avancées majeures dans le domaine des nanotechnologies. La saison 2024 des Nobel a été lancée lundi par le prix de médecine, attribué aux Américains Victor Ambros et Gary Ruvkun pour leur découverte du microARN. Elle continue avec la littérature jeudi, le prix Nobel de la paix vendredi, et celui d’économie le 14 octobre.