Quelle est la réelle ambition d’Emmanuel Macron sur la recherche ? «Face aux menaces, […] l’Europe doit devenir un refuge», a lancé le président de la République dans l’amphithéâtre de la Sorbonne face un aréopage impressionnant, ce lundi 5 mai. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, était présente avec une quinzaine de ministres français et européens pour assister au lancement de l’initiative Choose Europe for Science (Choisissez l’Europe pour la science), tout comme une vingtaine de présidents d’universités français et une quinzaine de leurs homologues européens. Avec une ambition claire : attirer les scientifiques affectés par de la politique de l’administration Trump. C’est bien au président américain qu’Emmanuel Macron fait référence quand, à la tribune, il dénonce le «diktat qui consisterait à dire qu’un gouvernement» puisse interdire «de chercher ceci ou cela».
Depuis son accession au pouvoir, Donald Trump fait dans «l’obscurantisme», selon le mot de Robert Neel Proctor, historien des sciences à l’université Stanford, connu pour son travail sur l’industrie du tabac et présent à la Sorbonne. Le gouvernement américain a viré des scientifiques, coupé des budgets mais aussi interdit l’emploi de certains mots (genre, climat, diversité, etc.) dans les projets de recherche.
De l’aide mais seulement pour les projets jugés prioritaires
Pour accueillir ces chercheurs en danger, le gouvernement français débloque 100 millions d’euros, comme Emmanuel Macron l’annonce depuis la Sorbonne. Dans le sillage de l’université Aix-Marseille, plusieurs universités et organismes de recherche publient des actions à destination des chercheurs empêchés aux Etats-Unis. Avec un bémol : pour obtenir un soutien de l’Etat, les projets devront porter sur l’une des thématiques prioritaires du gouvernement. Les études sur le genre, le décolonialisme ou encore les minorités, bien que très attaquées aux Etats-Unis, en sont exclues.
Pour mémoire le budget annuel pour la recherche et l’enseignement supérieur s’élève à plus de 30 milliards d’euros. De quoi relativiser cet effort de 100 millions d’euros pris sur l’enveloppe des 54 milliards d’euros du grand plan d’investissement France 2030. Par ailleurs, le dispositif élyséen demandant à des universités, pour beaucoup en déficit, de financer la moitié de cet effort de solidarité, la mathématicienne Claire Mathieu «craint que son impact réel soit marginal».
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Malgré l’emphase d’Ursula von der Leyen – «la science est la clé de notre avenir ici en Europe» –, l’Union européenne fait à peine mieux. Ce sont 500 millions d’euros sur trois ans (2025, 2026, 2027) qui sont débloqués. Un montant à comparer aux 95,5 milliards d’euros du programme recherche et innovation de l’Union de 2021 à 2027. «Il faut bien saisir l’ampleur de la catastrophe en cours aux Etats-Unis, commente Claire Mathieu, en marge d’une conférence de presse du réseau Stand up for science, tenue dans la foulée du raout présidentiel, à l’académie du climat à Paris. Si Trump va au bout de son idée, il pourrait supprimer 46 milliards de dollars dans le budget de la science américaine en 2026.»
Aussi, si Emmanuel Macron et Ursula von der Leyen veulent vraiment prendre le leadership scientifique mondial que les Etats-Unis sont en train d’abandonner, l’effort financier à fournir sera beaucoup plus important. La présidente de la commission fixe à l’Union l’objectif d’arriver à «3 % du PIB pour l’investissement dans la recherche et le développement d’ici à 2030». C’était déjà l’objectif pour 2020 et il ne dépasse pas 2,2 %… Pour le moment cette initiative Choose Europe for Science marque donc une solidarité bienvenue avec une communauté attaquée, mais sans forcément les moyens de ses ambitions.
Sanctuariser les libertés académiques
La conséquence la plus positive ne sera donc peut-être pas financière. En effet, Ursula von der Leyen a aussi affirmé sa volonté d’«inscrire la liberté de la recherche scientifique dans le droit au moyen d’un nouvel acte législatif sur l’espace européen de la recherche». La liberté académique, c’est ce qui permet aux chercheurs d’orienter leurs travaux – et leurs cours – comme ils le souhaitent, indépendamment des pressions politiques. En France, les sénateurs Pierre Ouzoulias (PCF) et Louis Vogel (Horizons) ont déposé une proposition de loi visant à inscrire dans la Constitution ce principe n’existant pour l’heure que dans le code de l’éducation.
Un acte loin d’être anecdotique. En 2020, en plein débat sur le supposé «islamogauchisme» à l’université, la droite sénatoriale avait fait voter un amendement demandant que «les libertés académiques s’exercent dans le respect des valeurs de la République». La proposition avait été repoussée par l’Assemblée, mais la tentative de soumission des chercheurs au politique était bien là. Et elle ne venait pas de l’extrême droite.
Mis à jour à 18 h 30 avec le reportage complet de Libération.