Un navigateur internet dopé à ChatGPT. Atlas, la nouvelle proposition de l’entreprise OpenAI dévoilée mardi, fait figure de bouleversement dans le paysage des géants du numérique, extrêmement concurrentiel depuis l’arrivée de l’intelligence artificielle. Avec un moteur de recherche capable d’anticiper les besoins de l’utilisateur et piloté par l’agent conversationnel ChatGPT, la start-up garantit aux internautes «un super assistant».
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Cette innovation entérine la volonté du créateur du modèle d’intelligence artificielle le plus utilisé au monde de devenir la porte d’entrée numéro 1 du Web – place actuellement occupée par Google. «L’IA représente une opportunité rare, de celles qui ne se présentent qu’une fois par décennie, de repenser la nature même d’un navigateur et la manière de s’en servir», affirme Sam Altman, le patron prolifique d’OpenAI, à propos de son nouveau moteur de recherche. Pour Libération, le professeur à l’école d’ingénieurs Télécom Paris et spécialiste des enjeux de l’intelligence artificielle Fabien Suchanek revient sur les promesses du géant de l’IA.
Est-ce que l’arrivée de ce nouvel outil marque un véritable tournant en matière de numérique ?
C’est un des modèles de langage parmi les plus puissants sur le marché, donc l’initiative est notable – même si d’autres offrent déjà des chatbots intégrés dans leur navigateur, comme c’est le cas pour Opera, Firefox, Brave, et Edge. Ce qui est «plus futuriste» et novateur, c’est l’utilisation du système ChatGPT comme «agent». Cela signifie que c’est le robot lui-même qui va interagir avec la page web pour achever des tâches telles que faire une réservation ou acheter quelque chose. Le danger principal est que c’est l’IA qui fait des actions au nom de l’utilisateur. Et ça, c’est une nouveauté.
Quels sont les risques de ces nouveautés ?
Ce sont les mêmes questions qui se posent avec les LLM [Large language models, soit un type de programme d’intelligence artificielle capable de reconnaître et générer un texte ndlr] en général. Il faut avoir conscience du degré auquel on veut partager ses données privées : ici, l’historique de navigation par exemple. Les pages que je visite, leur contenu, notamment ce qui n’est pas accessible aux moteurs de recherche normalement, tels que les Google docs, ce type de choses… ChatGPT va pouvoir voir tout ça. C’est là où il y a un vrai défi de sécurité parce que jusqu’à maintenant, c’était toujours l’utilisateur lui-même qui effectuait l’action.
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Au début, l’internaute va surveiller ce que l’IA a fait. Mais une fois qu’il lui fera confiance, il y a le risque que ChatGPT prenne des libertés et fasse des choses par erreur, ou qui n’étaient pas planifiées ! Maintenant, on peut aussi s’imaginer que ce serait détourné par des hackeurs qui manipuleraient le système. Mais c’est encore une autre problématique.
Comment les utilisateurs peuvent-ils se préparer à intégrer ces dangers potentiels dans leur quotidien ?
C’est une grande question pour notre société, qui relève de la capacité de l’utilisateur de comprendre les risques qui viennent avec les LLM. C’est une règle de trois : confidentialité, sécurité, et fiabilité. Il faut une conscience collective, mais aussi une expérience de ces dangers dans la population, au même titre qu’il y a une reconnaissance par la société des scams, les arnaques en ligne. Pour l’instant, comme tout est extrêmement nouveau et avance à une vitesse incroyable, la société ne s’y est pas encore préparée.
Avant, il y avait toujours une barrière assez visible entre ce qu’on donnait à ChatGPT et ce qu’était notre vie en dehors de ChatGPT. Avec Atlas, cette barrière tombe. Même en ayant la possibilité de «switch-off» [désactiver la fonctionnalité], il y a toujours le risque que l’on partage plus que ce que l’on souhaite.
Nous savons que les intelligences artificielles sont en train de modifier «l’écosystème» Internet et ses usages. Qu’en est-il pour ChatGPT Atlas ?
Oui, avec les IA, il y a un risque de «chute de l’écosystème», qu’on appelle la cannibalisation du Web. Avec le remplacement de la recherche classique sur le Web par des interfaces basées sur des LLM, l’utilisateur pose une question, et le navigateur répond directement avec un résumé des réponses sans que l’utilisateur ait besoin d’aller sur les pages internet, ce qui prive les sites de leurs visiteurs.
Ce phénomène pose des problèmes économiques évidents : si les pages web ont moins de motivation à produire du contenu parce qu’elles ont moins de visiteurs, elles en produiront moins, et si elles s’arrêtent, Internet mourra. Si ça arrivait, ce seraient les modèles de langage qui mourraient ensuite, puisqu’ils s’entraînent sur les contenus du Web. C’est un scénario hypothétique, mais on voit déjà que le trafic sur Internet diminue à cause des outils de l’IA. Avec ChatGPT Atlas, même si on est plutôt dans la navigation assistée, son modèle coexiste avec celui de ChatGPT. Donc ce risque est toujours sur la table.
Est-ce que l’arrivée d’OpenAI sur ce créneau en fait un concurrent direct pour les autres entreprises du numérique ?
Là où je vois une compétition, c’est que la page de démarrage du navigateur ChatGPT Atlas est comme celle d’un moteur de recherche. La première page sur laquelle les gens tombent ne va plus être celle de Google, comme c’est souvent le cas, mais le moteur de recherche ou l’interface de ChatGPT : Google risque donc de perdre une part de marché. Au-delà de ça, c’est difficile de prédire le succès ou non de ChatGPT Atlas.