François de Singly est professeur de sociologie à l’université Paris-Descartes, spécialiste de la famille et des rapports entre hommes et femmes.
L’ouverture d’une boutique de rencontre avec des hommes en vitrine vous surprend-elle ?
Non, c’est complètement cohérent avec le projet du site Adopteunmec depuis le départ, avec des affiches qui présentent des hommes dans des chariots et un discours qui parle «d’arrivage massif» ou de «réassort». Le langage est celui du commerce. Après, il y a deux dimensions. La première est qu’ils font tout pour s’inscrire dans une sorte d’inversion du monde, en créant un espace où les rapports de force s’inversent. Là, les filles dominent et les hommes se retrouvent en vitrine, c’est moderne comme concept et, donc, si on s’y oppose on est ringard. Mais je ne suis pas sûr pour autant que cela traduise la fin de la domination masculine. Quand commence la relation, rien ne dit que l’homme ne reprend pas le dessus.
Est-ce que cela s’inscrit dans une marchandisation croissante des rapports de séduction ?
C’est le deuxième point. Nous sommes ici dans une logique de marché. Le registre romantique s’est construit dans un autre espace social que l’espace classique. L’amour, en opposition aux mariages arrangés, a été créé comme une échappatoire : c’est le coup de foudre qui vous tombe dessus. Ce site et ces boîtes traduisent une tendance vers ce que le sociologue Zygmunt Bauman appelle une société liquide, où tout s’achète et se jette. Si Adopteunmec triomphe, c’est la fin de l’univers amoureux tel qu’il a été inventé. Mais tout n’est pas joué encore. L’époque est intéressante, car nous sommes devant une inconnue, un moment charni