«Ce n'est pas mon désir à moi, que Lulu soit une petite fille, c'est le sien, c'est sa vie. Je n'ai fait que l'écouter, l'accompagner, c'est elle qui m'a guidée sur son chemin.» Face à une trentaine de caméras, Gabriela, jolie trentenaire, se tient droite, sa voix est claire même si l'émotion la brise par moments. Dans la petite salle grise de l'administration de la province de Buenos Aires pleine à craquer de journalistes, elle vient de recevoir les nouveaux papiers d'identité de sa petite fille transgenre, Luana : une première mondiale, autorisée par la récente loi argentine très progressiste sur l'identité de genre.
Il y a six ans, Gabriela accouche de deux petits garçons faux-jumeaux dans la banlieue de Buenos Aires. «Très tôt, j'ai compris qu'un de mes deux bébés, Manuel, ne se comportait pas normalement, raconte-t-elle en privé. Il faisait des crises de larmes qui semblaient ne jamais terminer, son corps se couvrait de plaques, ses cheveux tombaient. J'ai consulté un pédiatre, un neurologue, un psychologue… Sans succès. A 20 mois, avec ses premiers mots, il m'a annoncé en se frappant la poitrine : "Moi, fille."» Le désarroi de la mère augmente avec le mal-être de l'enfant. Manuel passe des heures caché sous son lit, à lisser sur sa tête une serviette de bain comme s'il s'agissait d'une longue chevelure. La première psychologue consultée, alors que Manuel a 3 ans, recommande la méthode corrective : peindre sa chambre en bleu, renforcer la prése