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Libération
ébats dis donc

Echange sexe contre appartement

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publié le 13 mai 2018 à 12h25

Il est question ici de parler de sexe dans ses dimensions politiques, culturelles, sociétales ou (géo)graphiques. Aucune envie de vouloir imposer des normes, d'opposer des groupes ou de dicter des conduites à tenir. Simplement, en parler, en sourire, développer quelques théories et prendre position, parfois de manière absurde. Surtout, ne pas avoir peur d'en jouir.

Comme bon nombre de provinciaux montés à la capitale sans patrimoine immobilier, je connais depuis mon installation à Paris des problèmes réguliers de logement. Entre les proprios qui vendent, les expulsions pour tapages nocturnes, les colocs qui se délitent, les couples qui se font puis se défont, mes amis sont très souvent obligés de porter mes cartons d’un bout à l’autre de la cité.

Récemment encore, abandonné par un homme qui a préféré à l'herbe verte de La Villette les prairies siliconées de Palo Alto, j'ai dû me reconnecter sur PAP.fr, SeLoger.com et tous ces sites de l'enfer. Recommencer à faire des visites à cinquante en même temps pour avoir le droit de regarder un parquet pourri au rez-de-chaussée pas éclairé pendant trois minutes chrono. Faire remarquer que les murs, couverts de tâches maronnasses, mériteraient d'être repeints, et s'entendre dire que «ça partira bien comme ça».

Appeler dix fois dans le vide des agents immobiliers, qui finissent par répondre pour vous expliquer avec condescendance qu’évidemment le bien est déjà loué, alors que l’annonce a été postée une heure plus tôt. Vouloir être honnête puis commencer à mentir sur tout, le salaire, les soirées, la propreté, pour séduire le propriétaire tout en se surprenant à détester les autres visiteurs qui cherchent en même temps que vous alors que vous êtes tous dans la même galère. Belle victoire du libéralisme qui nous rend individualistes plutôt que de se serrer les coudes.

Et encore, je sais que je ne suis pas le plus mal loti et, à la quinzième visite, j'ai fini par trouver. Cette crise du logement, récurrente à de nombreuses grandes villes, est devenue une norme ces vingt dernières années. Au point que certains profitent de leur position pour proposer des chambres contre des services sexuels (c'est presque devenu un marronnier de la presse, lire par exemple l'Express ou Néon). Pour l'anecdote, un papier de Libé de 2008, «Loue studette contre pipe», remonte régulièrement dans les plus lus du site au moment où tout le monde cherche, en septembre. Preuve de l'angoisse et de nos obsessions?

La domination, patriarcale, physique et financière, est totale

Comme cette situation de pénurie crée un rapport d’assujettissement assez net entre un possédant et de multiples demandeurs, c’est sans surprise devenu un fantasme sexuel mis en scène par la pornographie. Ce n’est pas nouveau. Les plus âgés se souviendront peut-être d’une scène de l’actrice française Karen Lancaume où elle est forcée de coucher pour obtenir la location d’un appartement. Ici, la domination, patriarcale, physique et financière, est totale.

Sur Pornhub, l'un des principaux sites de cul du monde, il existe même une chaîne dédiée à cette question depuis 2016: Property Sex (qui a aussi un site payant). «Devenez un client et faites un tour avec quelques-unes de nos meilleures agentes immobilières prêtes à tout pour une vente. Ou devenez un propriétaire pervers qui négocie avec des jeunes et chaudes locataires qui ne veulent pas être expulsées», promet le septième studio le plus populaire du tube, dont les vidéos ont été visionnées, au total, près de 740 millions de fois. Pour résumer, la version cul du boulot de Phil Dunphy de la série Modern Family qui, lui, pour ne pas tromper sa femme, a si peur d'être dragué par une potentielle acheteuse…

L'un des enjeux du X étant de montrer toujours la même chose, des parties de jambes en l'air, en proposant des nouvelles histoires pour (re)créer le désir masturbatoire, Property Sex a parfaitement trouvé sa niche lucrative, avec «le monde hideux de l'immobilier», selon Vice (en anglais).

Certes, vous ne «devenez» pas vraiment, c'est simplement filmé en pov pour «donner l'impression de». Malheureusement, c'est toujours la femme qui est placée en position de faiblesse. Ce n'est jamais un homme, qui, par exemple, ne peut pas payer son loyer et se retrouve à devoir donner de son corps (ce qui est plus courant dans les scénarios d'inceste dont on parlera pour la fête des mères).

Millennials sans ressource

Property Sex nous montre aussi qu’aux Etats-Unis, la problématique du logement est un peu différente, et du coup les fantasmes qui vont avec. La majorité des vidéos mettent plutôt en scène des vendeuses dans le besoin que des payeuses en retard. Là où un appartement parisien s’écoule dans les vingt-quatre heures et rend impossible d’imaginer qu’on va vous montrer des seins entre deux portes de couloir pour vous convaincre de louer, l’explosion de la bulle immobilière américaine a rendu à la fin des années 2000 de nombreux logements vides et invendables.

Pas à New York mais dans les grandes banlieues pavillonnaires, où les agents immobiliers, jeunes, millennials sans ressource, se retrouvent aussi désespérés que les femmes au foyer, face à des hommes, plus âgés, la génération précédente, qui a le pouvoir et l'argent. «C'est une représentation sexuelle de nos actuelles frustrations économiques», juge justement le magazine Queen Mob's. La photo ci-contre, capture d'écran d'une des vidéos, laisse ainsi peu de doute sur qui investit qui/quoi, possession de la femme et de la maison se confondant.