Inclassable, dérangeant, Crivelli reste le grand absent de l'histoire de l'art de la Renaissance. Dans ses tableaux bizarres, les débauches de dorure contrastent avec l'hyperréalisme de détails mystérieux : Crivelli aime peindre des mouches en trompe-l'œil sur la toile et puis, surtout, il a cette manie de placer des concombres dans ses portraits de la Madone ou de martyrs… Pourquoi ? Avec une passion palpable, Thomas Golsenne, maître de conférences à l'université de Lille, se fait le champion de cet artiste méconnu auquel il consacre une passionnante monographie, très richement illustrée. Carlo Crivelli et le matérialisme mystique du Quattrocento (1) se lit comme un manifeste : il s'agit pour l'auteur de «renverser l'histoire de l'art» de l'époque. Au passage, il propose d'analyser la peinture non plus comme l'expression des idées propres à une époque, mais comme un agent actif. En d'autres termes : un tableau fait l'époque tout autant qu'il est fait par elle.
Une rupture, la Renaissance ? Faux
L'art possède un pouvoir, affirme Thomas Golsenne. Cela se vérifie tout particulièrement dans l'Italie du XVe siècle. Car cette époque – la Renaissance – ne marque pas le début de l'ère moderne mais, au contraire, l'apogée d'une culture médiévale qui se livre tout entière à la «perception sensuelle» de Dieu. Le culte des images culmine à la Renaissance avec la prolifération des ex-voto et des statues miraculeuses. Ainsi que le