Menu
Libération
Interview

GRAND ANGLE. Freddy Raphaël, professeur de sociologie: «Aujourd'hui, l'histoire nous éclate à la figure».

Article réservé aux abonnés
publié le 28 décembre 1999 à 2h17

Freddy Raphaël, professeur de sociologie à l'université Marc-Bloch

de Strasbourg, est le coauteur de Mémoire plurielle de l'Alsace (1).

Est-ce une bonne idée que de construire aujourd'hui un «mémorial-historial» consacré aux «Alsaciens-Mosellans pendant la Seconde Guerre mondiale»?

Il est tout à fait légitime que les collectivités humaines qui ont une histoire singulière éprouvent le besoin de la faire connaître, face à ce qu'elles peuvent ressentir comme un «déni de mémoire». De plus, lorsqu'il n'y a pas de tombes, pas de lieu pour se recueillir, le travail de deuil ne peut se faire. Mais il n'y a transmission possible d'une mémoire que si le passé peut faire sens pour les générations actuelles et les aide à s'engager face aux défis du présent. Le projet alsacien devra donc, selon moi, faire mémoire de toutes les composantes des populations d'Alsace-Moselle: les malgré-nous, mais aussi les réfractaires ­ ils sont nombreux ­, les résistants ­qui, à mon sens, sont les véritables victimes d'un «déni de mémoire» ­, les déportés politiques et raciaux. Il faut aussi qu'on fasse l'histoire des attitudes d'attentisme complaisant qui ont permis au système nazi de fonctionner efficacement en Alsace, de la collaboration qui a été très active, des délateurs et des dénonciateurs.

Il faut sortir du mythe fallacieux qui prétend que dans un système totalitaire, la surveillance et l'embrigadement sont tels qu'on ne peut rien faire et que l'on est privé de toute responsabilité. C'est exactement