C'est l'heure de préparer le dîner, le moment où on appelle ligne Azur pour parler des amours qui font peur, du sexe privé d'amour. Le dégoût de soi, le rejet des autres. Tous les soirs, sauf le samedi, de 17 heures à 21 heures, perché tout en haut de l'immeuble de Sida Info Service, vue imprenable sur le cimetière du Père-Lachaise, trois aiguilleurs anonymes plongent dans un pays obscur. «Vous aviez mis ça de côté au moment de votre mariage" et ça resurgit encore plus fort", mais ce sont deux choses différentes: vous trompez votre femme et c'est avec des hommes"» Avec ou sans capote? Stéphanie ne pose pas la question. «Votre femme accouche bientôt?» La semaine passée, les deux premiers pacsés de France sont passés sur TF1, au 20 heures. Filmés de dos, mais à une heure de grande écoute. Jean-Louis tient à bout de bras son interlocuteur, le quatrième de la soirée, celui qui a tenté de parler à son père et s'est entendu répondre: «C'est à la mode d'être homosexuel"» Jean-Louis note sur sa fiche: «Etudiant. 20 ans. Petite ville du Sud-Ouest.» Et relance: «Vous pensez que les homosexuels sont détestés par tout le monde, ah" surtout dans votre famille" vos amis aussi.» La voix reste chaude et neutre, «mais quand on fait une tentative de suicide, on va à l'hôpital", non?» Ecouter est un métier, un corps à corps épuisant pour éviter que les mots se perdent en route. «On dirait que ça va couper, vous appelez d'une cabine?" Merde, ça a coupé.» Jean-Louis pose les pieds sur son bureau
GRAND ANGLE. Un accueil téléphonique à l'écoute du mal-être sexuel. «Par ici, être homo ça ne se fait pas».
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publié le 29 décembre 1999 à 2h16
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