Trois heures du matin. Dans la rue de la Roquette, derrière la
Bastille, le grand soir ressemble à une nuit doucement familière, juste un peu plus blanche que les autres. Dans un café transformé en salle de spectacle, le père et la fille en paillettes s'engueulent au bar, devant des panachés. La chanteuse interrompt brusquement son interprétation de Saturday Night Fever. Et gronde la gamine: «C'est pas possible de faire chier ses parents même ce soir. Tu t'arrêtes maintenant.» A travers les fenêtres, on voit par dizaines les petits carrés bleus des téléviseurs.
Salut et moquerie. Venant du monde entier, mais aussi de la banlieue, des arrondissements moins chic, la foule populaire a débarqué comme prévu chez les riches du XVIe, du VIIIe. De la tour Eiffel aux Champs-Elysées, les rues étaient à ceux qui, «pour ce soir-là, voulaient être là où ça brille», disent ces lycéennes de Bondy. Protégés par des digicodes, les privilégiés dans les appartements de Passy inondaient la rue des lumières et de la musique de leurs fêtes. «T'as vu les salles qu'ils ont louées?» s'ébahissaient les jeunes banlieusards. «C'est pas des salles, c'est chez eux.» Passé minuit, émus par les clameurs de ceux qui avaient assisté au feu d'artifice les pieds dans la boue des jardins du Trocadéro, les privilégiés, de leurs balcons, saluèrent la foule. Laquelle foule les moqua: «Edouard dans la rue!» Vigiles privés. Pas un bar, pas un tabac d'ouvert dans un rayon de plusieurs kilomètres autour de la tour Eif