Tribunal correctionnel de Paris
Ils sont assis entre trois Polonais qui ont volé sur un chantier et un toxicomane. Deux petits bonshommes aux cheveux blancs. Amar a 65 ans. La présidente lit son casier: «Il comporte, monsieur, de nombreuses condamnations.» Depuis 1967, des vols. Une quinzaine et presque autant d'infractions à arrêtés d'expulsion. Cette fois, Amar a volé un portable dans le sac à dos d'une jeune femme. La présidente relève la tête. «Vous dites être français et vivre à Paris, sans domicile.» Elle toussote: «Vous dites aussi avoir commis ce vol exprès pour aller en prison vous faire soigner.» Amar se lance: «Depuis 1967, je n'ai pas de papiers, on m'a traité comme un étranger.» Il se frappe la poitrine. «Je suis né en France, pas en Algérie. Je suis revenu ici à 19 ans.» La présidente a une voix douce: «Est-il exact que vous n'êtes jamais rentré en Algérie?» Amar tonne: «Je n'y ai jamais remis les pieds! Je ne mens pas; dans mon dossier, vous avez toute ma vie! J'ai perdu mon père en 1951 en Indochine.» Il ouvre la bouche, montre le trou: «Regarde, madame la présidente, je n'ai plus de dents, j'en ai marre, je veux que mon coeur s'arrête.» Il écarte son vieux blouson beige: «Et voilà ma fortune, avec 12 balles. Je n'ai rien! Tu veux m'expulser? Mais tu m'amènes au consulat, ils ne veulent pas de moi.» Comme un bateleur, il module son ton, parle plus bas: «Ici, les Arabes ont tout, et, pour moi qui suis Français, rien!» Il crie: «Mais putain, je suis né français