Béthune, Calais, Arras envoyé spécial
Il pleut sur Béthune, une pluie froide et blanche, et il se souvient. Lundi 9 avril, 10 heures. Alain Lagneau prend un café au Central, le bar de la place du Beffroi où son père et son grand-père ont pris leurs premières cuites, avant de fuir le chômage dans la capitale et se noyer dans la gnôle. Nés à Beuvry, banlieue de Béthune, morts à cinquante ans dans celle de Paris. «La ville est froide, terriblement froide. Les gens vivent dedans. Le monde n'est pas à la taille de leurs rêves. Ils vont au bar en famille. J'avais dix ans quand mon père m'a dit: T'es un homme, bois une bière. Ici, ça se passe de père en fils.» Lagneau-fils s'en est sorti, il y a huit ans. Il a écrit une pièce où il raconte ses rapports avec «Al», son double alcoolique. Un apologue où il touche le fond, puis remonte après sa rencontre avec «l'homme», un alcoolique anonyme qui l'aide à faire taire son «Al» toujours perché «comme un singe fou sur son épaule». Cinq actes d'un «au théâtre ce soir» de l'alcoolodépendance, suivis d'un sixième, le plus troublant, où le public réagit. Voilà trois ans qu'Alain Lagneau joue Al avec sa troupe de quatre comédiens (1), dont deux sont d'anciens buveurs. En Bourgogne la semaine précédente, devant des détenus de Fleury-Mérogis, des salariés d'Elf ou des jeunes de La Courneuve. Aujourd'hui, c'est la soixante-huitième représentation.
Mais ce matin, le ciel blafard de Béthune renforce l'effet miroir. Au comptoir, un homme au nez violacé