En ce temps-là, dans ce monde-là, les vaches vivaient libres. C'était la pampa, dans les années 1860. Les premières bêtes avaient débarqué exsangues et serviles, trois siècles auparavant, avec les conquistadors; elles étaient à présent des dizaines de milliers, ondoyant dans les grandes prairies d'Argentine et d'Uruguay en immenses troupeaux sauvages. Du gibier facile pour les gauchos. La vaca est chassée pour son cuir, son suif, et parfois simplement pour attacher un cheval à sa grosse carcasse, le temps d'un répit dans ces prairies sans arbres. La viande, on en mangeait bien sûr. Mais il y en avait trop pour le trop peu d'hommes. Alors, on la laissait sur place, aux charognards. Cette mine de chair et d'os finit par attiser d'autres appétits. A la fin du XIXe siècle, les vaches sauvages de la pampa débarquent en Europe en sacs, en boîtes, réduites en poudre. L'industrie des farines carnées est née. En Amérique du Sud, sur une idée allemande.
Le baron Justus von Liebig
Celle du baron Justus von Liebig, précisément. Chimiste de génie et père fondateur de la marque toujours célèbre de soupes déshydratées, il est l'inventeur de la première technique de production industrielle de farines de viande et le héraut de leur recyclage alimentaire. «La première recommandation d'utiliser des sous-produits animaux dans l'alimentation animale est faite par Liebig en 1865», atteste le spécialiste britannique Brian Cooke (1). Liebig vient en effet de décrire un procédé permettant de réduire l