Sangatte envoyée spéciale
Il est presque minuit à la porte du centre de clandestins de la Croix-Rouge. Mahiar accepte qu'on le suive. «Mais attention, il faudra courir, hein!» Il n'a pas dormi depuis vingt-quatre heures, mais l'oeil pétille encore. Barbe de trois jours, mocassins au cuir défoncé, pantalon élimé, Mahiar, passeur d'occasion, a une technique éprouvée: méthodes commando et ambiance potache. «Je les fais rire, et ils oublient qu'ils sont fatigués.»
Tous les soirs, à Sangatte, des petites silhouettes noires indifférentes au trafic des voitures peuplent la départementale qui longe la mer. Par grappes de cinq, dix, trente, elles marchent vers l'entrée du tunnel sous la Manche. Leur but: grimper en fraude sur une navette de fret pour Londres. Quatre hommes sont morts au cours d'une tentative depuis février, un cinquième a été amputé sous le genou.
C'est parti. Ce dimanche, Khalid et Ahmad, les deux Irakiens; Kavous et Da rioush, les deux Iraniens; et Esmaïl, l'Iranien arabophone, marchent sur la D 243, mal éclairée. Un charpentier, deux commerçants, un microbiologiste et un journaliste. Dans les années 80, ils ont fait la guerre Iran-Irak, certains pendant huit ans, d'un côté ou de l'autre. Pour eux, le passage est une formalité. «Si la police te prend, elle te ramène, et tu recommences.»
Ils habitent tous dans le centre d'accueil de Sangatte, installé il y a deux ans pour donner un toit à une population errante, attirée par des conditions d'asile meilleures en Grande-Br