Abidjan de notre correspondante
Le vieil homme sort ses papiers militaires: une carte d'ancien combattant estampillée de bleu blanc rouge, un livret jauni. Nom: Guigui; prénom: Lougbo; né en 1915; matricule 91163; classe 1935. D'un tas de paperasses, l'ancien sort ensuite un récépissé qu'il déplie soigneusement. C'est le montant de la pension semestrielle qu'il vient de toucher: 28 698 francs CFA (286,98 francs), soit moins de 45 euros. Cinq fois moins qu'un ancien soldat français. Pas de quoi soigner ses jambes qui ne le portent plus. «Avec ça, on mange un peu, mais y a trop de famille», lance-t-il, montrant d'un geste femme, enfants et petits-enfants réunis sous l'auvent. Il a entendu dire que «la France» allait lui verser autant qu'à ses camarades hexagonaux. «Présentement, je suis beaucoup malade. Si on veut nous donner l'argent, je demande aux autorités de faire vite, avant que je m'en aille...»
Monsieur Guigui n'est pas allé à l'école. A 20 ans, on est venu le chercher à Soubré, bourgade forestière de l'ouest de la Côte-d'Ivoire, pour servir dans l'armée française. La mère patrie a alors besoin de tous ses bras. Elle puise dans ses colonies, notamment celles de l'AOF (Afrique occidentale française). Officiellement, des volontaires. «On vient, on frappe ton papa, tu pleures, on s'en fout, on te dit que tu dois partir à l'armée.» Trois ans sous les drapeaux. Arrive 1939. Mobilisé, le jeune paysan Bété se retrouve sur le drôle de front. Le 6 juin 1940, il est fait prisonnie