«Comment ? Tu n'es pas à la retraite? A ton âge... Ils me disent ça, comme à un enfant.» Jean Oury en sourit, ou plutôt il s'en fout. Il est là, il est loin, il est assis dans son bureau, rempli de livres. Et en ce printemps 2003 cela fait cinquante ans qu'il est là. Qu'ils sont là. Cinquante ans qu'il est arrivé avec ses fous, après un périple inédit de quelques semaines en Sologne : il venait alors de claquer la porte de l'hôpital Saumery dans le Loir-et-Cher. Et il est tombé sur ce château en ruine, perdu dans la forêt, qui allait devenir ce lieu inouï de la psychiatrie française : la clinique de La Borde.
Classification. Il fait beau, ce jour-là. Quelques résidents sont assis sur les marches du château. Un autre dodeline de la tête en regardant la pelouse. Il y a là plus d'une centaine de malades, «dont plus de 70 % de schizophrènes lourds», comme le dit la classification. L'ambiance à La Borde est toujours unique. C'est un drôle de lieu où, quelles que soient les bizarreries des habitants, on fait attention. On écoute, on s'énerve aussi, mais on n'a pas honte. Dominique est l'une des pensionnaires. Aujourd'hui, elle est «poisson pilote», c'est-à-dire en charge du visiteur pour lui faire visiter la clinique. Dominique a les cheveux bien courts. Elle vient à La Borde depuis vingt ans, mais depuis trois ans elle passe la moitié de la semaine à la clinique, et l'autre dans un appartement à Angers.
Elle parle avec une douceur infinie des autres malades : «Lui