Ephrem M., 73 ans, a mis un costume gris et noué une cravate sur sa chemise blanche. Ses chaussures bien cirées font grincer le parquet du tribunal correctionnel de Versailles (Yvelines). Il est accompagné de son fils, un homme mûr, et de sa petite-fille, à qui il a confié sa casquette pendant qu'il s'avance dans le prétoire. Il est tard, jeudi soir, la salle d'audience est déserte. Il s'arrête à la barre, les deux mains cramponnées, regarde les magistrats derrière ses lunettes. Il entame son récit d'une voix claire, il connaît par coeur les mots qu'il va dire.
«J'avais un vieux cordage, je le lui ai montré. C'est elle qui m'a dit : "Il faut quelque chose de solide." Je suis allé acheter une corde neuve. Je l'ai coupée en deux. Il y avait une partie pour elle, l'autre pour moi. C'est moi qui ai fait l'installation. J'ai mis un taquet de bois sur le chambranle de la porte. Et un autre taquet à l'autre porte, pour moi. C'était la pièce d'amis, l'ancienne chambre de notre fils. Son idée à elle, c'était qu'on meure ensemble. Elle ne voulait pas mourir seule.»
«Hébété». Il s'arrête, reprend son souffle : «Depuis des années, je l'accompagnais partout, même aux toilettes. C'est moi qui l'ai aidée à monter sur l'escabeau. Nous nous sommes embrassés, un peu brutalement», il penche la tête, «nous nous sommes dit un au revoir misérable», et continue, égrenant ses mots sans heurt dans le tribunal vide : «Elle a eu un sursaut d'énergie pour mettre la cordelette elle-même. Quand je l'ai vue