[Cet article a été publié dans Libération en janvier 2005.]
«Nous nous regardons, pétrifiés. Elles comprennent tout ; et qu'ici, ce ne sont pas des bains, que cette salle est le corridor de la mort, l'antichambre de la tombe», raconte Zalmen Gradowski, juif polonais de Grodno. Voix d'outre-tombe, l'une parmi celles de ces manuscrits trouvés près des ruines des crématoires d'Auschwitz II-Birkenau dans la terre mêlée des cendres d'un million de morts dont 950 000 juifs. Le premier, celui de Gradowski, fut découvert en mars 1945 dans une gourde allemande en aluminium : un petit carnet de 91 pages avec un exergue écrit en polonais, russe, allemand et français : «Que celui qui trouve ce document sache qu'il est en possession d'un important matériel historique.» Le dernier de ces fragments arrachés au néant est celui du juif de Salonique Marcel Nasdari, mis au jour en 1980. Tous furent trouvés par hasard, comme le journal de Lejb Langfus, 62 pages enfermées dans un bocal et déterré par un de ces paysans des environs qui, pendant des années, fouillèrent le site à la recherche d'or ou de bijoux. Il fut oublié au fond d'un grenier, puis retrouvé par son frère en 1970 et vendu au musée d'Auschwitz.