Il en a vu et entendu des arrogants, des timides confus de piété lui demander, avec des accents venus des quatre continents, si c’était bien ici que s’asseyaient Jean-Paul Sartre, Pablo Picasso, François Mitterrand ! Tant la liste est longue, il aurait pu proposer à l’avidité planétaire un who’s who entièrement réactualisé : les Coppola père et Sofia, Lilian Thuram, le philosophe allemand Peter Sloterdijk qui, eux aussi, le temps d’un souper, ont séjourné sur son aire de labeur. Bref : le tout-monde des arts et des lettres, des sports et de la politique, tout ce qui brille une seconde ou longtemps, a un jour commandé à Guy Flattot un Jack Daniel’s sur glace, une camomille, un chocolat chaud, onctueux et crémeux (breveté maison), dans ce mausolée parisien où il officie depuis dix-sept ans. Serveur en tenue guindée noir et blanc façon début de siècle, il travaille dans la plus célèbre brasserie de Paris, le Flore.
Célibataire de 57 ans, lunettes cerclées d’argent, cheveux blancs coiffés vers l’avant, façon Bonaparte, celui qui avance à pas saccadés sur les mosaïques ocrées de l’établissement ne ressemble en rien à la fonction qu’il représente. A quelques consommateurs choisis, il glisse subtilement, tout en posant sur un guéridon leur café-pot du matin, qu’il aime plus que tout Antonin Artaud, que sa passion est le théâtre, que ses vacances d’été se passent à Avignon, le festival, pour y admirer une pièce de Thomas Bernhard, une représentation de Paul Claudel, le cheval blanc d