Résister. Chacun sait bien ce que cet impératif veut dire pour lui et autour de lui. Résister à l’insécurité sociale galopante, au naufrage de l’ethos public, au court-termisme, à l’ivresse marchande, à la société du mépris, à la corruption des institutions. Résister à la «droitisation» du monde en un mot. Certes, mais pas seulement. Car nul ne pourrait penser qu’il suffirait de retourner au capitalisme des années 1960 pour arranger les choses, comme s’il ne s’agissait que d’un phénomène de déclin à enrayer. On ne peut en effet ériger la seule défensive - y compris de l’environnement - en une vision d’avenir. Il faut donc aussi imaginer. Sinon la résistance s’émousse et se mue en résignation crispée, en réaction intégriste ou en désenchantement dépressif.
Mais de quelle utopie avons-nous besoin ? Car l’expérience nous invite à la circonspection, tant de catastrophes et d’horreurs ayant suivi dans l’histoire récente la promesse des lendemains qui chantent. Comment alors sortir de la nasse, autrement qu’en agitant le spectre d’un soviétisme miraculeusement régénéré et débarrassé de sa propension totalitaire ?
Les utopies classiques ont été des utopies du modèle, proposant des réorganisations du monde clefs en main. Au XIXe siècle, Cabet décrivait par exemple les conditions d'une vie idéale en Icarie. Mais c'était au prix de la vision d'un monde hiérarchisé, qui présupposait la vertu des hommes et leur parfaite intériorisation des contraintes collectives. D'où la dénon