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TRIBUNE

La dignité de Sisyphe ou qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ?

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Débat. Le bonheur se mérite-t-il ?
par Yves Michaud, philosophe
publié le 22 mars 2010 à 0h00

Quand l’homme est impuissant face à son sort et qu’il en a, sinon la certitude, du moins un fort soupçon, il a le bonheur et le malheur que le destin, les dieux, la chance, le hasard, la fatalité, que sais-je encore, veulent bien lui donner. Il peut au mieux jouir avec précaution de son bonheur, sans se vanter, de peur d’éveiller la colère des puissances qui le dépassent.

S’il est malheureux ou misérable, il lui reste à implorer compassion et pitié de la part des autres humains qui, embarqués sur le même bateau, les lui accordent volontiers parce qu’ils pourraient être dans le même cas, parce qu’ils seront à leur tour dans le même cas. Chacun vit dans le sentiment d’être un rescapé ou en sursis - et finalement tel est peut-être notre lot commun.

Dès lors que j’imagine que quelque chose, même peu, est en mon pouvoir, la question de la conduite de ma vie se pose : si je suis heureux ou malheureux, peut-être y suis-je pour quelque chose ? Peut-être pourrais-je mériter mon bonheur ou mon malheur. Et comme les humains n’ont cessé de voir grandir leurs pouvoirs et leurs maîtrises, ils croient que tout ou presque pourrait changer : pourquoi ne suis-je pas né à une autre époque, dans une autre famille, plus grand, plus intelligent, sans handicap ?

Dès que l’on y réfléchit un peu, il est évident que la plupart des choses m’échappent irrémédiablement. Quel sens cela a-t-il de souhaiter être né à une autre époque, dans un autre monde, dans une autre famille, avec un corps différent ? Il y