L’expérience de la douleur reste une épreuve redoutable pour ceux qui la vivent. Elle rappelle que nous ne sommes pas un corps associé à un esprit mais une personne tout entière. Elle n’est pas seulement sensation, mais aussi émotion et perception, c’est-à-dire activité de déchiffrement sur soi. Elle ne traduit pas dans la conscience une effraction organique, elle est pour l’individu la confrontation d’un événement corporel à un univers de sens et de valeur. Elle est liée à une série de données biologiques, sociales, culturelles, relationnelles, contextuelles et surtout à ce que l’individu en fait à travers son histoire de vie.
Une douleur qui ne serait que de «corps» est une abstraction comme le serait une souffrance qui ne serait que «morale». La douleur n’écrase pas le corps, elle écrase l’individu, elle brise l’écoulement de la vie quotidienne. Il n’y a pas de peine physique sans un retentissement dans la relation au monde. Le mal de dent n’est pas dans la dent, il est dans la vie. La douleur altère toutes les activités de l’homme, même celles qu’il affectionne, elle imprègne les gestes, traverse les pensées. Elle «ne donne plus goût à rien». Mais si la souffrance est inhérente à la douleur, elle est en proportion de la somme de violence subie. Elle est immense ou dérisoire selon les circonstances et donc la signification que revêt la douleur. Dans le contexte de la maladie, de l’accident ou d’une douleur rebelle, l’expérience est presque toujours celle d’une mutilation.