Il y a une chose que James Beicker fait très bien : le shérif. James est un chef de groupe, un homme calme, souriant, un type rassurant, option bonnes joues, calvitie naissante, et qui empoigne la radio de sa Ford comme si, à chaque fois, c'était le geste le plus cool à faire dans les parages. James a une façon bien à lui, pourtant archi-vue à la télé, de saluer ses concitoyens à chaque croisement, à chaque entrée de ranch, sur Main Street comme sur Petroleum Avenue. Son pouce gauche reste sur le volant, ses doigts se lèvent délicatement, sourire, doigts en l'air, sourire, et les doigts enfin qui se remettent en place lentement sur le cuir, jusqu'au prochain administré qu'il faudra bien saluer. Parce que shérif, c'est pas flic comme partout. Shérif, c'est être élu : James Beicker, républicain, la quarantaine, en est à son second mandat de grand manitou de la loi et de la force dans le comté de Fremont, au sud-est du Colorado. Un coin paumé : au pied des Rocheuses, au bout du bout de la plaine de l'Ouest, «loin des yeux, loin du cœur», comme on nous a dit à Denver, avant de prendre l'InterState 25.
Un siècle d’uniformes rayés
La main droite de James Beicker, elle, reste toujours agrippée sur le micro de la radio. Il a beau ne rien se passer ici, ou presque, on ne sait jamais. Cañon City, c’est quand même la capitale mondiale des prisons, non? 36 000 âmes dans le comté, 7 731 détenus, treize taules, un siècle d’uniformes rayés. Presque une ville modèle de ce que pourrait être le monde futur sécur