Eric Fassin est sociologue à l’Ecole normale supérieure. Il estime que «la démonstration» d’Hugues Lagrange «ne tient pas».
La dérive des cités sensibles a-t-elle une dimension culturelle, comme l’écrit Hugues Lagrange dans le Déni des cultures ?
Son constat n’est pas original : comme d’autres, il traite de la «nouvelle question sociale» qui monte depuis trente ans, et dont les émeutes de 2005 ont été le symptôme. Mais son interprétation est bien en rupture avec les sciences sociales actuelles, auxquelles il reproche leur «déni des cultures» : il révise les analyses néoconservatrices, aux Etats-Unis, sur la «culture de la pauvreté», à la lumière d’un culturalisme anthropologique des années 1930. Les inégalités socio-économiques n’expliquent pas tout, dit-il - et ceux qui, comme moi, s’intéressent à la «question raciale» ne peuvent qu’être d’accord. Mais il va plus loin : les discriminations raciales ne suffiraient pas à expliquer les différences entre «sous-cultures». Il mobilise donc l’«origine culturelle». Et d’expliquer ainsi la situation des immigrés noirs du Sahel. Or sa démonstration ne tient pas : la précocité des différences scolaires entre groupes, annonçant les mêmes différences en matière de délinquance, ne s’expliquerait par l’origine culturelle que si la socialisation primaire n’avait rien à voir avec la société d’accueil. Or l’école et la famille sont tout autant traversées par les logiques de racialisation qu’entraînent discriminations et ségrégation.
La culture n’expliquerait rien selon vous ?
La culture n’est pas une explication ; c’est ce qu’il faut expliquer. Lagrange lui-même finit par se contredire : il bascule de «l’or