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Libération

Monopoly à deux têtes

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Dans les archives de «Libé», il y a vingt-six ans. On croyait le Monopoly inventé en 1934 par Charles Darrow, et d’essence capitaliste… En 1976, un procès a bouleversé cette légende : le jeu est né en 1904, d’inspiration socialo-utopiste.
par Philippe Romon, (Libération du 9 février 1985).
publié le 19 février 2011 à 0h00

Un soir de 1931, rapporte la légende, au plus sombre de la grande dépression, un chômeur de Philadelphie confectionne sur sa table de cuisine, un parcours avec des cases, représentant des terrains à vendre ou à louer. Ici, il place une prison pour, pénaliser le joueur qui enfreindra un règlement encore approximatif. Là, une case offre de l’argent pour encourager les participants à dépenser plus. Sur des petits cartons, il a rédigé des «titres de propriété avec des noms de rues pour faire plus vrai». En guise de jetons, de vieux boutons de nacre. L’homme s’appelle Charles Darrow. L’histoire en a fait l’inventeur du Monopoly, mais c’est une grossière supercherie, une entorse à la vérité, une injure au jeu lui-même. On croyait le Monopoly d’essence capitaliste et fantasmé par les années noires de la crise : il est né au début du siècle, d’inspiration socialo-utopiste.

Au cours d'un procès qui se tenait à San Francisco en 1976, des dizaines de témoins l'ont affirmé : en 1910, ils jouaient déjà à acheter et à hypothéquer des lopins de terre avec des hôtels dessus. Le procès opposait le docteur Ralph Amspach, professeur d'économie dans une université locale, qui voulait lancer un «anti-Monopoly» sur le marché, et la compagnie Parker Brothers, propriétaire du Monopoly. Cette dernière revendiquait l'exclusivité de son titre, et accusait Amspach de plagiat. La bataille pour le monopole sur le Monopoly durera près de huit années, pour se terminer par un verdict favorable