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TRIBUNE

Payer pour jouir, est-ce mal ?

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par Philippe Huneman, Philosophe, chargé de recherches au CNRS et à l’Institut d’histoire et de philosophie des sciences et des techniques (IHPST)
publié le 21 avril 2011 à 0h00

La proposition de loi visant à pénaliser les clients de prostituées, présentée comme un effort pour protéger les femmes, repose en réalité sur la thèse morale suivante : il est mal de monnayer la jouissance. Les prostituées comme leurs clients ignoreraient cette vérité que le pouvoir entend donc leur faire reconnaître.

Les promoteurs de la loi argumentent ainsi : les prostituées étant des victimes de réseaux criminels les forçant à vendre leur corps, la pénalisation viendra donc les protéger. Il n’y a pourtant rien là de propre à la prostitution : beaucoup d’activités industrielles sont exercées par des ouvriers dans des conditions abominables, avec des conséquences délétères sur leur santé. La mondialisation implique qu’en achetant un vêtement ou un jouet, souvent fabriqué en Asie par des enfants horriblement mal payés, je soutiens ces pratiques. De même qu’il existe des «empreintes carbone», on pourrait imaginer une «empreinte pénibilité» pour mesurer l’effet du consommateur sur le ou les producteurs du bien consommé. A cette aune, pas sûr que le client de prostituées s’avère plus nocif que l’acheteur avisé de jouets Mattel. Entre la prostitution et le commerce, la différence serait donc purement morale. Or, si elle n’est pas nécessairement fausse, cette position morale doit, comme n’importe quelle autre position morale, être discutée.

Hypothèse 1. L'exceptionnalisme de la prostitution : coucher pour de l'argent serait essentiellement différent de tous les autres rapports se