On l'aperçoit, au loin, toute petite silhouette sur le quai de la gare de Lille. Il nous attend en n'osant regarder ni sourire. Son costume est trop grand, les manches lui couvrent les mains, il marche les yeux au sol, il traîne une lourde sacoche qui semble peser une tonne. Pourquoi certaines histoires s'accrochent à notre mémoire ? Celle de Patrick Keil, entendue au creux de l'été 2008, est restée gravée. Le «petit juge» de «l'affaire Festina» de 1998, ce magistrat en lutte contre le dopage, ce David s'attaquant au Goliath du Tour de France, bloc de rigueur et d'intégrité, tombe, dix ans après, pour corruption. Devenu alcoolique, il a transmis à un compagnon d'ivresse des informations sur une enquête. En dix années, durant lesquelles plus personne n'a entendu parler de Patrick Keil, il serait devenu, par de mystérieux rouages de la vie, l'inverse de ce qu'on pensait de lui.
Dès les premiers mots, ce «je suis 100% disponible pour vous», cette voix hachée, faussement alerte, maladroitement obséquieuse, on comprend que notre objectivité va être mise à mal. Que si la chute passionne, impressionne, comme toute déchéance ravive et exorcise nos peurs, il faut pour l'approcher se frotter aussi au malheur.
Patrick Keil, 48 ans aujourd'hui, n'est «plus SDF mais pas loin». Il a été révoqué de la magistrature en juillet 2009. Il a fait trois mois de détention préventive. Il habite un minuscule studio sans salle de bains ni cuisine qu'il ne veut pas no