On nous dit que nous vivons désormais dans la culture du tout image. Comment ne pas se rendre à l’évidence ? Possédés que nous sommes par la publicité, la télévision, le cinéma, la vidéo, la Toile, il serait naïf de contester le pouvoir des images, confirmé par les neurosciences et l’imagerie par résonance magnétique. Mais les mots ne sont pas impuissants pour cela. Leur pouvoir n’a même jamais été aussi grand, puisqu’on n’a jamais autant lu dans le monde.

Plus de gens lisent, plus de gens imaginent, partout sur le globe. Le pouvoir des mots, c’est celui de nous faire voir par l’imagination, de nous faire penser à des situations inconnues de nous, de notre milieu, de notre petit monde, c’est de nous faire expérimenter des circonstances non familières. Rien ne vaut les mots - les mots sans les images, c’est-à-dire la littérature, car elles oblitèrent l’imaginaire - pour nous enseigner l’identité et la différence, pour nous apprendre qui sont les autres et, partant, qui nous sommes. Le pouvoir des mots - des mots organisés dans la littérature -, c’est de nous faire vivre mieux en nous entraînant à penser hors de nous-mêmes, à nous excentrer, à nous détourner de nous pour nous faire revenir à nous, plus savants et surtout plus conscients.

Pas de plus bel éloge des mots, de leur pourvoir, que l'essai de Montaigne, Sur des vers de Virgile, où l'écrivain découvre que, pour se dire, il faut passer par les autres, que, pour se découvrir, il vaut mieux choisir la voie couverte