C'est un livre qui, une fois refermé, procure une dérangeante quoique vivifiante impression de culpabilité. Pourquoi citoyens, journalistes, hommes et femmes politiques, ne nous sommes nous pas davantage mobilisés autour de l'affaire Dany Leprince ? Car si le journaliste du Monde ne donne pas de piste sur l'identité du meurtrier de Christian Leprince, son épouse et deux de leurs filles en septembre 1994, son très minutieux travail démontre de façon implacable les (énormes) failles de l'enquête. Du coup, on reste un peu sonné, intrigué par le retentissement relatif de cette possible erreur judiciaire quand on la compare à l'affaire Grégory, par exemple. La société se serait-elle habituée à certains crimes ?
Car Franck Johannès a l'art - rare - de dépeindre une société par-delà la brutalité du fait divers. Son Couteau jaune est truffé de portraits qui racontent la vie de Français moyens dans cette campagne sarthoise si calme jusqu'à ce que l'horreur ne surgisse. Il raconte surtout les petites lâchetés de certains enquêteurs ou magistrats, leur manque de rigueur ou de courage, leur envie d'aller au plus vite, cette incroyable accumulation d'approximations ou de franches erreurs qui aboutit à une affaire si mal ficelée.
Deux exemples, la liste est si longue : Dany Leprince purge depuis 1997 une peine de vingt-deux ans- criant son innocence depuis dix-huit ans, après un aveu initial -, alors qu’aucune preuve matérielle irréfutable n’existe contre lui. De même, on