Pourquoi toute cette rage antitabagique ? L'Occident vit l'aboutissement d'un long règlement de comptes puritain avec cette substance stimulante et nocive, nourrissante et anesthésique qui, selon Lévi-Strauss, occupe «une position ambiguë entre l'aliment et le poison». Comme à plusieurs reprises dans l'histoire de l'humanité, la peur de la mort se met à chevaucher la peur de la jouissance de vivre, dans un retour en force des thèses hygiénistes du XIXe siècle et dans une célébration païenne de la santé, où les adeptes du new age ne font que reprendre, à leur insu, les idées de William Penn, fondateur du mouvement quaker en Amérique au XVIIe siècle.
Il se trouve que le tabac, ou plutôt son utilisation par les hommes et les femmes, apparaît dans le monde amérindien et constitue l’une des «découvertes» de Christophe Colomb : Rodrigo de Jerez, membre de son équipage, en fit l’amère expérience. Après y avoir pris goût dans le Nouveau Monde, il fut arrêté par les sbires de l’Inquisition en Espagne et condamné à dix-huit ans de prison pour sorcellerie. Les colonisateurs puritains de la Virginie, de la Caroline, du Massachusetts, avaient une trouille bleue du tabac, comme de tout ce qui était lié à un plaisir «gratuit». Dès 1634, fumer était interdit dans les colonies de Nouvelle-Angleterre, et la pipe fut proscrite à New York en 1639.
Mais en même temps, les industrieux colonisateurs aperçurent les profits fabuleux qu’ils pouvaient tirer d’une plante qu