Noir et blanc, extérieur jour. Jean-Paul Belmondo passe lentement son pouce sur ses lèvres. Disparaît derrière son journal. Une femme, près de lui. Retour sur Belmondo, sa cigarette, sa moue bogartienne. Un couple descend de son cabriolet américain. Bateau de pêche rentrant au port, sirène de ferry-boat. Belmondo vole le cabriolet. La jeune femme : «Michel, emmène-moi !» Lui : «Il est quelle heure ?» Elle : «11 heures moins dix.» Lui : «Non maintenant, je fonce Alphonse.» Le quai des Belges à travers le pare-brise, Belmondo roule sur une nationale bordée de platanes… On est en 1959 et c'est le début d'A bout de souffle. En une minute vingt, quelques plans et un montage sidérant, Jean-Luc Godard rassemble et liquide tous les clichés sur Marseille : le Vieux-Port, un mauvais garçon, une voiture volée, la fuite vers Paris.
Dans la suite du film, qui ne quitte plus Paris (Jean Seberg, «Herald Tribune ! Demandez le Herald Tribune !»), le mot «Marseille» est prononcé deux fois - à peine plus dans le Police de Pialat (1985). La réputation de la ville est telle qu'il suffit de citer son nom pour que chacun comprenne. Comprenne ce qu'il veut car les clichés ont deux qualités, rares : ils sont increvables et peuvent être absolument contradictoires. Tourneur, Pagnol, Godard, Comolli, Blier, Guédiguian… Les cinéastes ont tissé la longue légende de Marseille au XXe siècle. Justin de Marseille