Au départ de l'histoire de Manon et Sophie plane une main étrangère. Quelques gestes banals, une brassière ôtée, deux bébés placés nus, en couche, sous une lampe contre la jaunisse. Et puis, au matin, la même main qui rhabille, reconduit les bébés dans les chambres de la maternité. Quelques gestes mécaniques, dont les conséquences sont si immenses que les mots n'existent pas. «Personne ne peut comprendre, parce que c'est une situation qui ne concerne personne», dit Manon, 18 ans, jolie adolescente au ton joyeux, affirmé, parfois un peu brusque, qui s'assoit et se relève, traverse la pièce, pianote sur son portable. A côté d'elle est assise Sophie, 37 ans, sa mère, son contraire, douce, chaleureuse, presque effacée. Et en même temps aussi son double, le même phrasé, la même cigarette fumée lentement, le même rire pour masquer l'émotion.
Pendant dix ans, les deux femmes ont cru qu'elles étaient mère et fille, et puis, en 2004, elles ont appris que non. Que Manon était la fille d'un autre couple, que la fille biologique de Sophie avait un autre prénom, et que les bébés avaient été échangés à la naissance. La main étrangère est celle d'une puéricultrice dépressive et alcoolique qui, retrouvée depuis par une enquête, a dit : «Mon état de l'époque peut expliquer une telle confusion.»
L'histoire pourrait être celle de La vie est un long fleuve tranquille, le film d'Etienne Chatiliez, existences bouleversées, mais que l'humour et la volonté reconstruisent. E