Directrice de recherche au Cévipof (Sciences-Po), Janine Mossuz-Lavau est l'auteure de Pour qui nous prend-on ? Les «sottises» de nos politiques (Ed. de l'Aube, 2012) et de l'Argent et nous (Ed. de la Martinière, 2007).
Il est communément admis que les Français ont un rapport «particulier» à l’argent. En quoi ?
Tout le monde aimerait avoir de l’argent, en gagner, vivre mieux… Le problème n’est pas le rapport à l’argent mais le rapport à la parole sur l’argent. On n’en parle pas, cela reste encore plus tabou que le sexe. En France, on ne sait pas exactement ce que gagne notre famille, nos amis ou nos voisins, et ce serait très mal élevé de leur demander. C’est très différent aux Etats-Unis, où quelqu’un vaut en grande partie ce qu’il gagne, ce qu’il pèse financièrement.
Comment expliquez-vous cette difficulté française à parler d’argent ?
Les explications sont à chercher dans notre histoire. La première, c’est que presque tous les Français - à une, deux ou trois générations près -, viennent du monde paysan. Or, dans la culture paysanne, on a très longtemps gardé l’argent en liquide à la maison, et le silence complet sur la question, de peur de se le faire voler ou de susciter de la convoitise, des racontars. De tout cela, il reste beaucoup dans la culture française. Deuxième élément : l’influence de la religion catholique, qui est à l’origine tournée vers les pauvres. Cela aussi nous a imprégnés. Enfin, les Français de gauche - sans dire bien sûr qu’ils ont tous lu Marx - ont intériorisé une espèce de slogan selon lequel «le profit, c’est mal». Mais si seuls les pauvres pouvaient être de gauche ou voter à gauche, nous n