L’histoire ne repasse pas les plats. Et pourtant, elle devrait. Car ce qui manque à l’Europe ce n’est pas un hymne, une devise ou une Constitution, c’est un plat national, ou plutôt fédéral. Un homme le savait mais il vient de disparaître : l’Allemand Kadir Nurman, mort à 80 ans, inventeur du kebab. Aucun plat n’est susceptible de symboliser mieux l’UE. Certes, ce n’est pas l’hymne à la joie de l’estomac, mais c’est une devise forte de l’alimentation. Voilà la synthèse réussie de visions du monde essentielles au creuset européen : le sandwich grec et la frite belge, autrement dit Socrate et Tintin, Nana Mouskouri et Stromae, la Grèce cuite dans le pot belge. On trouve là tous les excédents de la politique agricole commune et les miracles de la pharmacie européenne, depuis la dinde aux hormones jusqu’au poulet aux antibiotiques.
D’ordinaire, les aliments sont xénophobes - ils sont nés quelque part et en sont fiers - corned-beef breton et champignons de Paris hongrois. Le kebab, lui, maintient ses frontières ouvertes, il vient de partout et va partout. S’il circule librement à l’intérieur de l’espace Schengen, c’est parce qu’il a toujours ses papiers. Du coup, il accepte tout sans rechigner, du fromage chinois à la viande brésilienne. L’Europe refuse d’intégrer la Turquie, débat de la question musulmane : ce n’est pas un problème pour notre kebab, lui ne se prend pas pour un Européen de souche. Reste un souci : le kebab est comme l’Europe, il tourne sur lui-même, acceptant sa f