Historien à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, fondateur et éditeur de la Librairie du XXIe siècle aux éditions du Seuil, Maurice Olender travaille depuis de très longues années sur le racisme. Il est notamment l’auteur de Race sans histoire (Points).
Comment analyser l’irruption actuelle de propos racistes dans l’espace public ?
Sans vouloir dissoudre l'actualité dans une longue durée, je ne vous cache pas que face aux discours racistes récurrents, l'historien est pris de vertige. Faudra-t-il toujours et encore dire et redire les mêmes choses - comme si la mémoire n'avait d'autre consistance que l'oubli des formules qui blessent, des mots qui tuent ? Comme si toute parole publique ne devait pas être d'abord de responsabilité sémantique ? Pourquoi tant de précautions ? D'abord pour une raison paradoxale, qui vaut la peine d'être rappelée : le mot «race» raconte l'histoire d'un vocable qui a mal tourné. Ne s'agissait-il pas d'un des plus beaux mots de la langue française ? Ouvrez un dictionnaire. «Race» est synonyme de famille, filiation, ascendance et descendance. Pourtant, c'est ce même mot qui a contribué à légitimer au XXe siècle des génocides et, de façon différente et spécifique, diverses pratiques coloniales dont on n'a pas fini de mesurer les effets sur l'actualité politique, économique et culturelle mondiale. Or si le XIXe siècle occidental a créé la notion moderne de «race» et les pratiques de «racisme» - un mot qui apparaît e