L'élan commémoratif sur le trentième anniversaire de la Marche des Beurs est surprenant, pour ne pas dire suspect. Pourquoi un événement oublié par la plupart des Français fait-il son retour dans l'agenda politique ? La commémoration n'est pas à rejeter, elle est essentielle si elle ne néglige pas de légitimer des dispositions institutionnelles en capacité de lui donner sens. En revanche, si ce rituel en reste à une opération de communication, il relève au mieux du marketing politique, au pire de l'instrumentalisation de la mémoire. Or, les acteurs associatifs héritiers du mouvement beur des années 80 ne s'y sont pas trompés : «Rapt sur la mémoire !» ont clamé certains.
On ne peut que s'étonner du décalage entre l'effet d'annonce gouvernemental d'un grand appel à projets pour ce trentième anniversaire et la dispersion des initiatives sur le terrain, la plupart d'une facture aussi médiocre que la farce belge de Jamel Debbouze (et de Nabil Ben Yadir) sur la Marche. «C'est une commémoration pour culs-de-jatte et quelques entrepreneurs de mémoire !» tranche l'un des principaux acteurs des luttes de l'immigration depuis le début des années 80. Ces militants qui ont poursuivi la Marche de 1983 à 2013 n'ont pour la plupart même pas été invités à la fête. Ils sont pourtant les vrais répondants d'un patrimoine politique des quartiers populaires. Faut-il en conclure que la commémoration s'est coupée d'une mémoire vivante pour ne plus célébrer qu'une fiction médiatique