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Libération
Libé 2053

Les gens sont fous de journaux !

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publié le 29 novembre 2013 à 21h36

Cet article d'actualité-fiction a été publié dans notre édition spéciale «Libération en 2053», à l'occasion des 40 ans du journal.

Chacun le sait. Depuis quelques décennies, il est devenu vulgaire et quasiment inacceptable d’écrire dans ce que l’on appelle encore les journaux sur quelque chose que l’on connaît. Si vous agissez ainsi, on vous prend pour un prétentieux. Car les journaux, dit-on, ne sont pas faits pour refléter et critiquer la réalité mais pour l’inventer. Pas pour informer mais pour amuser, pour distraire, pour faire rêver. Et moins vous connaissez ce dont vous parlez, plus votre imagination peut se développer, vous explique-t-on quand vous commencez ce métier.

Il est de tout aussi mauvais goût d’écrire sur quoi que ce soit sans passer par la maille de ses propres émotions. Si jamais vous ne respectez pas ce diktat, on vous soupçonne de manque d’authenticité voire de malhonnêteté. On vous dit avec mépris : «Tu te prends pour la voix de la Raison, pour celle de Dieu ? Descends de ton piédestal, tu n’es qu’un misérable humain qui ne sait rien sur rien et qui est peut-être même le rêve d’un autre.» C’est par ces procédés si contestables que le journalisme a pris son visage actuel. Au lieu d’agir comme un contre-pouvoir, comme le chien de garde de la démocratie, il est devenu un genre littéraire à part entière - même si aucun patron de presse ne serait prêt à le reconnaître.