C'est peu dire que la proposition de loi pénalisant les clients de prostitués suscite, dans l'ensemble des familles politiques, une certaine perplexité. Associations et intellectuels féministes, eux-mêmes, sont divisés. Et nombreux sont ceux, parmi les citoyens, qui disent avoir du mal à se faire une opinion tranchée. Comment l'expliquer ? Il se pourrait que la question en débat soit de celles qui mettent au jour les contradictions les plus insurmontables de nos sociétés capitalistes et libérales. Ces contradictions dont Karl Marx ne prévoyait la disparition qu'au prix du dépassement des droits formels, typiques de ce type de sociétés, par l'instauration de droits réels aboutissant, d'après lui, à la société communiste. Par droits formels, entendons des droits qui accordent aux individus des libertés théoriques, sans concrétisation pratique. Les droits réels, en revanche, créent dans la vie réelle les libertés qui ont été énoncées en théorie. Ainsi, en termes marxistes, la question que pose toute législation sur la prostitution est-elle de savoir si la décision de se prostituer, fût-elle reconnue comme un droit formel, peut être un choix réel.
Dans son Essai sur les libertés, paru en 1965, Raymond Aron a tenté de clarifier le problème des libertés réelles (1). Force lui semble d'admettre que les droits formels ne sont pas si formels que cela : chaque jour nous apporte la démonstration de ce que les libertés politiques, individuelles et intellectuelles d