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Libération

Le silence des objets techniques

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publié le 13 décembre 2013 à 21h36

Nous vivons une époque magique. Un geste de l’index et nous voilà transportés ailleurs, discutant avec un ami lointain, accédant aux savoirs les plus pointus, au courant du moindre frémissement du monde. Prolongements de nos membres, prothèses fabuleuses, fétiches, les objets techniques qui nous entourent sont tellement ajustés à nos sens, à nos pratiques et à nos désirs qu’on les oublie jusqu’au moment où ils se rappellent à nous par leur absence soudaine ou leur déficience inacceptable. Ou par leur inquiétante étrangeté. On murmure que nos chères petites boîtes noires, même éteintes, repèrent chacun de nos mouvements, enregistrent nos conversations, renseignent sur nos fréquentations, nos goûts et nos gestes. La magie blanche est devenue noire.

Cette ambivalence ne date pas d'hier. L'humanisme classique entendait dans le mot «machine» une menace plutôt qu'une prouesse. Le mot machine vient du grec mekané, signifiant «machination contre la nature». Dès le XVIIe siècle, l'association de l'homme et de la machine suscite horreur et délectation. Un œil et un microscope, un bras et un instrument de mesure : ce type d'association est d'abord considéré comme un hermaphrodisme monstrueux, proprement antinaturel, avant d'être accepté. Au moment où les techniques brouillent ou déplacent les frontières acceptées de l'humain et de la perception, elles sont d'abord violemment rejetées. La haine de l'innovation technique, ou misonéisme, se développe encore davantage au