Lorsque Paul Lafargue décida de prendre la plume pour rédiger le Droit à la paresse, c'était comme une sorte de pastiche, une espèce de provocation - comme un geste de défi ironique à l'ordre de la production qu'il voyait lentement se consolider autour de lui. Pourtant, cent trente ans après la parution de la seconde édition de son libelle, le geste qu'il avait posé semble bénéficier d'une pertinence, d'une puissance et d'une urgence nouvelles, davantage même que celles qui avaient été les siennes au départ. Car, tandis que l'Europe, à cause de l'incurie de gouvernants incapables de comprendre que l'idée même d'austérité est une insulte à l'intelligence (fût-elle celle des économistes l'ayant défendue avant de se raviser), s'enfonce toujours davantage dans la morosité, le droit défendu par Lafargue est devenu l'insulte suprême. Il est vrai que la cible privilégiée de cette insulte, telle qu'on la retrouve formulée par les citoyens comme par les décideurs, par les éditorialistes comme par les intellectuels, n'a jamais disposé de considérables moyens de défense - puisqu'il ne s'agit de personne d'autre que du chômeur.
Aux yeux de l'ethos contemporain de l'austérité, le chômeur est devenu l'incarnation d'une espèce d'obscénité : alors que le reste du monde tente de se battre pour tenter d'assurer, avec sa survie, celle d'une économie chancelante, celui-ci ne fait rien d'autre que toucher, avec l'impeccable régularité qui est celle de toute administration, une i