Professeur au Collège de France, Pierre Rosanvallon est à l'initiative de Raconter la vie, projet qu'il explicite dans son nouveau livre, le Parlement des invisibles (Seuil) et qu'il présente ici.
Comment est née cette nouvelle aventure intellectuelle collective ?
Elle est née d’un constat et d’une impatience. Le constat est que de nombreux Français se trouvent aujourd’hui oubliés, incompris, pas écoutés. Ils se sentent exclus du monde des gouvernants, des institutions et des médias, ils ont l’impression que ce qu’ils vivent ne compte pas. Mettre l’accent sur cette «mal représentation» n’a rien d’original. Mais nous pensons qu’elle ne résulte pas seulement d’un abandon coupable des «élites» et qu’elle procède aussi d’une illisibilité de la société. La vie sociale a en effet fini par être ensevelie sous un ensemble de mots qui l’opacifient et la caricaturent en prétendant la décrire. On ne parle plus que des «cités», des «pauvres», des «défavorisés», des «bobos», des «immigrés». La plupart des gens ne se reconnaissent pas dans ces catégories. Elles ne décrivent pas adéquatement ce qu’ils vivent vraiment. C’est de cette façon qu’ils sont invisibles. Cette invisibilité revient à un déni d’existence. Elle a aussi un coût démocratique. D’où l’urgence d’un déchiffrement de la société partant de vies telles qu’elles sont concrètement vécues. Nous ne sommes pas les premiers à avoir ressenti qu’il fallait aller dans cette direction. L’idée était dans l’air. Mais nous avons voulu généraliser les initiatives qui allaient déjà dans ce sens. L’im