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Entretien

«Le voile, qui rend quasi invisible, est devenu l’image de l’islam»

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Face à l’exigence occidentale du paraître, la religion musulmane, qui refuse toute représentation, a pris pour emblème les femmes voilées. Un paradoxe dont s’empare Bruno Nassim Aboudrar, professeur à Paris-III.
"VIP Voile islamique parisien", performance de l'artiste marocaine Majida Khattari. (Photo : Gonzalo Fuentes.Reuters)
publié le 14 mars 2014 à 17h06

En autorisant les joueuses à porter le voile, la Fédération internationale de football (Fifa) vient d'offrir une visibilité planétaire à ce qui est censé cacher. C'est à partir de ce paradoxe que Bruno-Nassim Aboudrar, professeur d'esthétique à l'université Paris-III, montre comment le voile est devenu une «image» de l'islam, alors que cette religion refuse toute représentation. Dans son livre, Comment le voile est devenu musulman, il explique, à travers une série de tableaux et de photos, pourquoi le voile heurte tant dans les pays européens et interroge l'impératif de transparence à l'œuvre dans les sociétés occidentales.

Pourquoi le voile dérange-t-il autant en Europe et particulièrement en France ?

Cette intolérance est le résultat d'une longue histoire coloniale et postcoloniale. Quand les Français sont arrivés en Afrique du Nord et qu'ils ont vu des femmes voilées, cela leur a paru insupportable, à la fois pour des raisons de pouvoir et pour des raisons érotiques. Le maréchal Bugeaud, colonisateur de l'Algérie, disait : «Les Arabes nous échappent, parce qu'ils dissimulent leurs femmes à nos regards.» Et c'était vrai. Plus profondément, le voile conteste l'ordre visuel occidental qui donne la primauté au regard : transparence, perspective, spectacle, etc. En outre, en cachant leur corps et leur visage, les femmes en faisaient, involontairement, un objet mystérieux de désir.

C'est pourquoi on assiste dès le XIXe siècle, dans la littérature comme dans l'art, à toutes sortes de tentatives pour dévoiler ces femmes. Dans ce qu