Quand j’étais petit, au début des années 60, on ne gavait pratiquement que des oies. Cet animal jouissait, à l’époque, d’une considération teintée d’un craintif respect chez tous les galopins qui, au moins une fois, s’étaient fait pincer le gras du mollet par un jars jaloux de son territoire et de son troupeau. Outre ces désagréments pédagogiques, les souvenirs qui me remontent sont tous empreints d’une certaine douceur, pas étonnant que les soins prodigués à ces bêtes, surtout en fin d’année, en saison de gavage, aient été de tout temps l’affaire des femmes.
Cette exagération ponctuelle et dosée d’une inclination naturelle à faire du gras chez ces volatiles était une activité complémentaire dans nos fermes du Gers. Bien menée et maîtrisée, elle relevait à la fois de la manne attendue et de la transmission d’un savoir-faire peaufiné au cours des siècles par des générations de fermières. Chez mon arrière-grand-tante, à Saint-Jean-Poutge, comme dans la plupart des fermes alentour, les aïeules sur leur petit tabouret, une oie entre les genoux, enchaînaient des gestes d’une précision de puéricultrice et connaissaient leur (petit) troupeau pour adapter à chacun de ses sujets l’antique protocole. Leur grand âge sans doute les rendait aptes à traiter avec suffisamment de patience ces sourcilleux volatiles. Cela durait de novembre à Noël, on réalisait ce petit capital en vendant (en circuit ultracourt) sa production pour les fêtes. Puis on passait à autre chose en regrettant un peu d