A l'occasion des élections européennes, la chronique «Qui a le droit ?» est consacrée pendant tout le mois de mai à des questions européennes.
La Turquie censure Apollinaire, l’Irlande interdit l’avortement et la Suisse autorise l’euthanasie. De quel droit la justice européenne se prononce-t-elle sur les questions les plus sensibles qui agitent ses Etats membres? Comment peut-elle trancher entre des cultures si différentes? Y-a-t-il une morale européenne et s’impose-t-elle juridiquement aux Etats?
La morale pour restreindre une liberté
«La notion de morale existe bien dans le droit européen, rapporte Nicolas Hervieu, chargé d'enseignements à l'université Panthéon-Assas et membre du Centre de recherches et d'études sur les droits fondamentaux (Credof). Et cette morale a une fonction bien précise : elle justifie les restrictions de libertés.»
Ainsi dans les années 70, la Grande-Bretagne avait interdit la diffusion de The Little Red Schoolbook, un ouvrage libertaire qui entendait enseigner sans tabou aux écoliers et lycéens ce qu'était le porno, la masturbation et le speed. Dans un arrêt de 1976, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), l'instance chargée de veiller à la conformité des législations nationales avec la Convention européenne des droits de l'homme (1), estima que le pays n'avait pas violé la liberté d'expression (consacrée par l'article 10 de la Convention) : la protection de la morale publique justifiait, selon la Cour, qu'on limite cette liberté fonda