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Idées

Jonathan Crary : «Le capitalisme crée un état d’insomnie généralisé»

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Confronté à la frénésie des marchés et des réseaux, l’homme vit sans temps morts. L’universitaire Jonathan Crary lance des pistes pour échapper à la logique dévastatrice du 24/7.
«Vue de nuit», New York, 1932 (Photo Berenice Abbott/Commerce Graphics Ltd, Inc.)
publié le 20 juin 2014 à 18h06

L'adulte américain dort six heures et demie par nuit, contre huit pour la génération précédente et dix heures au début du XXsiècle. De quoi cette érosion du sommeil est-elle le symptôme ? Selon Jonathan Crary, professeur d'histoire de l'art et d'esthétique à l'université de Columbia, à New York, ce grignotage du temps caractérise le capitalisme contemporain, dont le mot d'ordre 24/7 (vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept) régit le quotidien de chacun. Travailler, jouer, consommer, bloguer, chater, tout est désormais possible à n'importe quelle heure du jour et de la nuit. Dans un essai, 24/7, le capitalisme à l'assaut du sommeil, il décrit la frénésie de cette nouvelle temporalité, où le sommeil apparaît comme le dernier moyen de résister.

Comment définir le système «24/7» ?

J’utilise cette formule pour sa force évocatrice plutôt que pour son exactitude théorique. Le 24/7 se réfère à une constellation de processus typiques de notre monde contemporain, caractérisé par une production incessante : l’accumulation, le shopping, le temps passé à la communication, aux jeux vidéo… Que ce soit au travail ou en vacances, il s’agit de l’impossibilité de trouver des moments vides d’activités, de se déconnecter. C’est un temps homogène, où il n’y a aucun temps mort, aucun silence, aucun instant de repos ou de retrait. C’est également une condition où l’on est exposé constamment, un monde sans ombre, où rien ne peut être caché ou rester privé.

Dans ce temps sans temps, chaque moment,