La France a l’un des systèmes scolaires les plus inégalitaires des pays de l’OCDE. A gauche comme à droite, personne ne le conteste plus. Des études le pointent régulièrement, statistiques à l’appui. Tour d’horizon en dix points de ces injustices que l’école, loin d’atténuer, a tendance à creuser.
On redouble plus quand on a des parents ouvriers…
20,5% des élèves issus de milieux défavorisés - ayant des parents ouvriers ou chômeurs - ont déjà redoublé au moins une fois lorsqu’ils entrent en sixième, selon une étude de l’Insee parue en septembre. C’est six fois plus que les élèves de catégories très favorisées (3,6%) - ayant des parents cadres, chefs d’entreprise ou issus de professions libérales et intellectuelles supérieures.
… et quand on vit en zone urbaine sensible
L’Insee met aussi en valeur un facteur moins connu : l’impact du lieu d’habitation sur la réussite ou l’échec scolaire. Un élève habitant en zone urbaine sensible (ZUS) a deux fois plus de chances d’arriver au collège avec un an de retard qu’un élève vivant hors ZUS - 21,7% contre 11,6%.
A priori, cela semble logique car la population en ZUS a la plupart du temps des revenus modestes. Mais l’Insee pointe un effet propre du voisinage : le fait d’être entouré d’enfants du même milieu accroît les risques d’échec.
On réussit moins bien au brevet si on est issu d'un milieu modeste
La quasi-totalité des enfants de milieux très favorisés obtiennent le brevet des collèges haut la main (95,6%). Une réussite qui chute de 20 points pour les élèves de milieux défavorisés (75,3%), selon les résultats du brevet 2013 publiés par le ministère de l’Education nationale. On retrouve ce poids de l’origine sociale sur la répartition des mentions. Un candidat sur deux issu d’un milieu très favorisé décroche le brevet avec mention très bien ou bien. La proportion tombe à un sur quatre pour les élèves d’origine sociale «moyenne» - avec des parents agriculteurs, artisans, commerçants ou employés - et à seulement un sur sept pour ceux de milieux défavorisés.
Les devoirs aggravent les inégalités
C’est une récurrence : dans tous les pays participant à l’enquête Pisa (sur le niveau scolaire des jeunes de 15 ans) de l’OCDE, les élèves ont du travail à faire après la journée classe, et ceux appartenant à des catégories aisées y consacrent plus de temps que ceux de catégories modestes. Or, plus on passe du temps sur ses devoirs ou ses leçons, plus on est en situation de réussir, selon une étude de l’OCDE.
Là encore, la France fait figure de mauvaise élève. Un jeune de milieu modeste consacre 2,2 heures de moins par semaine à ses devoirs que son camarade issu d’un milieu aisé - 4 heures hebdomadaires contre 6,2 heures. Un écart sensiblement au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE (1,6 heure), et qui contribue encore à creuser les différences de réussite.
Les enfants d’immigrés risquent de sortir sans diplôme
Selon une étude récente de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l’Education (DEPP), les enfants d’immigrés courent deux fois plus de risques d’abandonner leurs études cinq ans après leur entrée au collège - ce que le jargon officiel désigne comme «une sortie précoce».
Une autre étude nuance cette conclusion, qui a donné lieu, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, à des dérapages de Claude Guéant sur les enfants d’immigrés mauvais à l’école : à niveau socio-économique égal, ils réussissent aussi bien et sont souvent plus accrocheurs que les autres. Le problème est que dans la majorité des cas, ils vivent dans des familles modestes.
Les enfants d’ouvriers abonnés à la voie pro
Les filières, très hiérarchisées en France, sont également très typées socialement. Ainsi, parmi les enfants d’ouvriers ayant décroché le bac en 2012, 46% étaient dans la filière professionnelle, la moins considérée, et seulement 31% dans la filière générale, la plus convoitée car réputée conduire à des études plus prestigieuses.
Les enfants de cadre sup et de profession intellectuelle ne sont, eux, qu’à peine 10% dans le pro et plus de 75% dans la voie générale.
Mieux vaut avoir une mère diplômée
La DEPP introduit un facteur intéressant, peu souvent cité à côté des origines sociales : le niveau de diplôme des parents, en particulier de la mère, qui protège contre les «sorties précoces». Un enfant a ainsi trois fois plus de chances d’accéder sans redoubler à une terminale générale ou technologique avec une mère diplômée que non diplômée. Preuve que le niveau socio-économique n’explique pas tout et que le capital culturel pèse lourdement.
Les enfants de cadres sont les champions du bac S…
La proportion de bacheliers dans une génération continue de progresser, même lentement. Mais les probabilités d’obtenir le précieux sésame restent très liées au niveau social : un enfant de cadre ou d’enseignant (les fils et filles de profs du secondaire sont les champions toutes catégories de la réussite scolaire) a deux fois plus de chances de devenir bachelier qu’un enfant d’ouvrier non qualifié, selon une note de la DEPP établie en septembre 2010. Et dix fois plus de chance de décrocher le bac S… L’écart a en outre tendance à se creuser.
Cela renvoie au niveau de l’élève lorsqu’il entre au collège : seuls 25% de ceux ayant redoublé en primaire parviennent à décrocher le bac (ils ne sont même que 1% à obtenir le bac S…), toujours selon cette étude. Or comme on l’a vu, parmi ces jeunes en retard, les enfants de milieux défavorisés sont surreprésentés.
… et des études supérieures poussées
Si 40% des enfants de cadres ont un diplôme à bac +5, ce n’est le cas que de 4% des enfants d’ouvriers. Sans surprise, le rapport s’inverse si l’on regarde les décrocheurs, sortis sans diplôme du système scolaire : 25% de fils, surtout, et de filles d’ouvriers, contre 3% d’enfants de cadres.
La scolarité s’allonge, plus encore pour certains
Depuis le milieu des années 80, époque de la «massification scolaire», jusqu’à l’année 2010, le temps de scolarité s’est allongé pour tous. Le sociologue Pierre Merle a étudié à qui profitait cet allongement. La réponse est claire : pas aux plus nécessiteux. Les jeunes qui poussaient déjà le plus loin les études ont gagné quatre ans - ils sortent aujourd’hui en moyenne à 26,3 ans contre 22,2 ans auparavant. A l’opposé, ceux qui quittaient le plus tôt le système scolaire n’ont gagné, eux, qu’1,3 année - ils partent à 17 ans, contre 15,7 auparavant.
Résultat : l'écart entre les deux groupes s'est aggravé, passant de 6,5 ans à 9,3 ans. «Cela signifie qu'une part encore plus grande de l'argent public profite à la scolarisation des plus favorisés, alors que celle des moins formés connaît assez peu d'évolutions», commente sur son site l'Observatoire des inégalités. En termes prosaïques, le système, financé par les ressources de l'Etat, dépense plus pour ceux qui en ont le moins besoin, et dépense moins pour ceux qui en auraient justement le plus besoin. Ce que l'on appelle être injuste.